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Il y a comme un problème...
27 août 2013

Le bourbier syrien ou la tentation américaine de remodeler le Moyen-Orient

Les obligations professionnelles font qu'il m'est difficile de conserver une certaine constance dans les mises à jour de ce blog. Que celles et ceux qui me font l'honneur et le plaisir d'être fidèle à cette lecture épisodique sachent néanmoins qu'ils peuvent me suivre plus régulièrement dans les contributions ponctuelles que je fais sur le site de débat www.newsring.fr . Manque de constance donc alors qu'il y aurait largement matière à mettre en ligne des posts quotidiens sur ce blog qui entend pointer les problèmes en cours et ceux à venir, tant ils s'accumulent ces temps-ci comme les lourds nuages d'orage un soir d'été. Aujourd'hui c'est la question syrienne qui s'impose dans l'actualité, avec l'éventualité d'une intervention occidentale dans un nouveau bourbier moyen-oriental.

Je ne sais pas vous, mais à mon niveau, j'ai, depuis quelques jours, la désagréable impression que l'Histoire tente de nous repasser les plats et qu'un puzzle géo-stratégique se met insidieusement en place pour que "Damas 2013" devienne le Sarajevo de 1914. L''attaque chimique de la semaine dernière aura-t-elle le même impact pour la paix mondiale que l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand ? Vous trouvez que j'exagère ? Et pourtant...

La réalité syrienne est une vraie tragédie, comme peuvent l'être toutes les guerres civiles. Et le propre de ce type de conflit est de mettre les populations civiles, notamment les femmes et les enfants, au centre des combats, parfois otages ou boucliers, toujours victimes. Mais dans ce type de confrontation fratricide, peut-on encore parler de "populations civiles" dans la mesure où une telle guerre doit logiquement conduire chacun à choisir un camp, à un moment donné, forcément, par adhésion ou par défaut. Aujourd'hui en Syrie, on est soit pour, soit contre le régime de Bachar El Assad : être ni pour ni contre n'aurait plus de sens. Rester neutre quand sa nation se déchire ainsi n'est pas seulement illusoire, c'est surtout l'assurance d'être tour à tour la cible des deux camps belligérants. Mais pour qu'elle ait une chance d'accoucher d'un régime pérenne, une révolution doit s'accomplir en interne par le seul fait des citoyens concernés.

Après le débat sur la livraison d'armes aux "résistances" - pluriel oblige compte tenu de la rivalité entre factions opposantes -   des voix occidentales poussent désormais à l'interventionnisme militaire dans cette tragédie syrienne ; et la couverture médiatique joue pleinement son rôle de caisse de résonnance avec force d'images choc pour sensibiliser les opinions publiques à "l'inéluctable" option guerrière qui se dessine de Washington à Londres. Apparemment les leçons afghane et irakienne n'ont pas été assimilées ; à moins que les interventions occidentales dans ces deux pays n'aient jamais eu pour objectif de pacifier durablement ces pays en y favorisant l'essor de la démocratie ?! La justification à une intervention extérieure tient à l'utilisation avérée d'armes chimiques, "ligne rouge" décrétée unilatéralement par les Etats-Unis. Sauf que l'on ne saura rien des responsabilités réelles relatives à l'usage de cet armement ; sauf que si il ne fait pas doute qu'il y ait eu usage et victimes, directes et collatérales, personne n'est vraiment en mesure de dire, et encore mois de prouver, qui a fait quoi et qui a ordonné quoi dans cette affaire.

Il ne faut pas avoir la mémoire courte. Rappelons-nous que l'intervention en Irak avait été "vendue à l'opinion publique" et justifiée par "l'existence d'armes de destruction massive". Enorme mensonge d'Etat américano-britannique : en réalité, l'ex-allié Saddham Hussein, devenu trop encombrant, était assis sur un juteux champ pétrolifère sur lequel lorgnaient les compagnies texanes qui avaient largement financé la campagne de W. Bush. Il y avait alors des incertitudes sur les réserves mondiales de l'or noir et le complexe militaro-industriel tournait à vide : la campagne d'Irak était donc un soutien à l'économie américaine et un retour sur investissement pour certains intérêts privés. Rappelons-nous aussi que l'expédition afghane avait été vendue comme une mission préventive autant que punitive contre le terrorisme islamiste : il se trouve que c'est au Pakistan, "l'allié" régional des forces occidentales, que résidait Ben Laden et que c'est encore au Pakistan que les fondamentalistes religieux viennent principalement s'entrainer à la jihad. 

Alors que peut-il se cacher en réalité derrière cette vertueuse "ligne rouge" ? Après tout, les dictateurs qui oppriment, emprisonnent et maltraitent leurs populations jusqu'à la mort - sous les balles ou la famine endémique, ce n'est pas ce qui manque à travers le Monde. Pourquoi focaliser sur le sort de quelques 20 millions de Syriens  quand ce sont des centaines de millions d'Africains qui souffrent dans l'indifférence générale ?  Derrière les grands idéaux, toujours rechercher l'intérêt. L'économie américaine est malade, sous perfusion intensive d'une planche à billets en surchauffe qui génère un endettement hallucinant : le complexe militaro-industriel maintient l'illusion d'une activité laborieuse et des emplois tandis que la posture "gendarme du monde" évite que l'on se pose des questions sur la solvabilité à terme de ce modèle économique en faillite et sa monnaie sur-côtée. Mais au delà de cet aspect économico-financier, il est question de géo-stratégie et de l'action de certains lobbys.

Tout le monde sait que la Syrie est le dernier allié régional de la Russie ex-soviétique ; tout le monde sait que la Syrie a de ce fait joué un rôle de perturbateur-régulateur dans tous les conflits du Moyen Orient au cours de ces quarante dernières années. Tout le monde peut donc comprendre qu'intervenir en Syrie, sans l'aval de la Russie, peut conduire à une escalade dont l'actuel refroidissement des relations russo-américaines n'est qu'un des prémices. Intervenir en Syrie, c'est assurément remettre le Liban à feu et à sang par le jeu des milices pro-syriennes. Ce n'est pas un hasard si les bombes particulièrement meutrières explosent depuis peu au pays du Cèdre. Intervenir en Syrie, c'est déstabiliser le petit royaume Jordanien et sa large communauté palestinienne. Intervenir en Syrie, après l'Irak, c'est clairement menacer l'Iran d'une prise en tenaille. Derrière la ligne rouge humanitaire, ne se cache-t-il pas une volonté américaine de remodeler le Moyen Orient ? N'est-ce pas là le moyen de "régler la question nucléaire" avec l'Iran ? N'y a-t-il pas une stratégie conjointe avec Israel de rebattre les cartes ?

Le problème quand on fixe une limite, une "ligne rouge" soi-disant infranchissable, c'est qu'elle oblige à l'escalade ou à la reculade. Que les Etats-Unis se dédient, et c'est la face et leur crédibilité qui sera perdue ; qu'ils s'engagent unilatéralement et c'est enclencher un engrenage indépendant de leur volonté qui peut conduire à rebattre les cartes certes,mais à l'échelle de la planète, par le jeu des alliances et des intérêts économiques et stratégiques des uns et des autres. 

Intervenir en Syrie, c'est mettre le feu à une poudrière dont l'explosion va impacter tout le Moyen-Orient et donc l'Europe des communautarismes. Une génération d'hommes français a été perdue sur les champs de bataille de la Marne du fait de l'assassinat d'un seul homme ; veut-on, un siècle plus tard, prendre le risque de replonger dans un enchaïnement de violence pour soutenir une révolution intérieure qui ne nous concerne pas, pour servir des intérêts, nationaux, privés ou spéculatifs, qui sont contraires aux notres ? Si le gouvernement français et sous son impulsion l'Europe décident de faire le jeu américain, demain en Syrie, après-demain en Iran, alors là oui il y aura comme un problème... un gros problème !

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  • Un regard décalé sur l'information du moment, des analyses originales sur les sujets d'actualité, un point de vue dérangeant qui pose de vraies questions sur notre société et son mode de fonctionnement.
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