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Il y a comme un problème...
16 janvier 2019

Le grand débat : une invention déconnectée de la réalité sociétale française

     Je voudrais vous faire partager aujourd'hui la petite expérience qui est la mienne à propos des débats participatifs car je crois qu'elle saura éclairer bien plus qu'un grand discours théorique les raisons de l'échec à venir du grand débat citoyen.

     A des titres aussi divers que co-propriétaire, professionnel en gestion immobilière ou membre d'un bureau associatif syndical, j'ai eu à participer, à encadrer ou à animer les assemblées générales d'associations de propriétaires. S'il ne faut retenir qu'un chiffre, je dirais 10, comme le pourcentage de personnes qui se mobilisaient, le temps d'une seule soirée dans l'année et uniquement pendant deux-trois heures, pour discuter de choses pourtant importantes pour elles, comme la gestion des espaces communs, les frais d'entretien et de réparation, le montant des charges et donc celui des recettes à appeler au cours de l'exercice annuel. Moins de 10% des propriétaires se sentaient concernés par des sujets qui, d'une façon ou d'une autre, impacteraient directement leur portefeuille, puisque le montant des cotisations soumises au vote majoritaire des présents s'imposaient à tous. Et dans ces réunions où une certaine contestation pouvait se faire jour, il ne manquait jamais un "bon client" qui trustait le micro une bonne partie du temps, forçant les autres au silence. La gestion de la prise de parole est une donnée essentielle à la tenue d'une discussion ouverte et sérieuse. 

     Si le débat citoyen arrivait à mobiliser autour de 20%, le chiffre habituellement présenté par les instituts de sondage ces derniers jours, l'affaire tiendrait déjà du miracle, autant qu'il témoignerait de la détresse des habitants des territoires oubliés de la République, car il est probable que certains petits bourgs reculés de grandes métropoles se manifesteront plus largement que les grandes agglomérations qui ne manquent ni de transports publics, ni de services administratifs, ni de commerce de proximité... 

Pour autant, avec ces beaux 20%, il est certain qu'aucun équilibre, suffisamment représentatif de la population française, ne serait trouvé à cette occasion puisqu'il est probable que les retraités y prennent toute leur part et que les actifs ou les jeunes ne trouvent ni le temps, ni l'envie de participer. Qu'en sera-t-il aussi au niveau des disparités régionales et au niveau des territoires à l'intérieur des départements ? Quid de la sur-représentation de minorités structurées défendant un idéal, une ligne politique ou une réforme sociétale ? Quels animateurs pour diriger et animer la parole citoyenne ?

     Il se trouve par ailleurs que j'habite l'un de ces bourgs ruraux qui se meurent des réformes décentralo-recentralisatrices qui font éclater le tissu rural depuis vingt ans. Intégré dans une intercommunalité imposée d'en haut où les citoyens de chaque village n'ont pas eu leur mot à dire et dans laquelle le "petit" maire n'a plus aucun pouvoir réel, et guère plus d'inlfuence, mon hameau de 1400 âmes vient de perdre sa boulangerie, pour cause de départ à la retraite. La mairie s'est toquée d'un projet pour déplacer le fournil et le magasin du centre-bourg vers la route départementale, soulevant par là même un vent (breton) de contestation. Face à la fronde d'une partie des habitants, le maire s'est vu contraint d'organiser un atelier participatif pour que les citoyens viennent discuter ensemble de l'avenir du centre-bourg, de l'animation commerciale et des moyens pour redynamiser la commune. Et il s'est passé exactement ce qui va se passer demain et les jours suivants de ce grand débat national : les frondeurs - une vingtaine de personnes - ont estimé que les jeux étaient déjà faits et ils ont quitté la salle communale en faisant une sortie remarquée - ce qui était le but de la manoeuvre dans la perspective des élections municipales de 2020 ; et les débats, animés par des professionnels de la concertation citoyenne,  ont réuni, au plus fort des trois soirées espacées sur 3 mois, une petite quarantaine de personnes, dont le maire et quelques-uns des conseillers municipaux. C'est dire si les 10% étaient bien loin d'avoir été atteints !

Le français est ainsi fait, prompt à balancer la table en paroles, et parfois en acte - que ses raisons soient, ou non, légitimes ou justifiées - mais rétif à s'asseoir autour pour rechercher une solution de compromis. Dans un pays qui voit s'affronter depuis toujours deux blocs plus ou moins homogènes et d'égale force, séparés par un ventre mou qui alterne d'un bord à l'autre au gré des circonstances, le consensus est un gros mot. Il faut gagner en imposant sa volonté à l'autre, toute sa volonté et rien que sa volonté. C'est une question de principe. Ainsi fonctionne notre démocratie éruptive !

Mon père était à cet égard un français modèle : combien de fois ai-je pu l'entendre râler contre le maire de sa commune, un vrai "con" assurément ?! Son argumentaire n'était pas dénué de bon sens ou de fondement et il aurait pu, avec raison, mener le juste combat pour s'opposer à des décisions ou à des projets qu'il contestait sur des bases solides. Notamment en écrivant des courriers où il aurait pu rappeler, à juste titre, des manquements de l'édile à sa charge et quelques-une de ses obligations légales ! Il faut savoir qu'un maire est tenu de répondre par courrier à tout courrier qui lui est directement adressé, c'est dire l'effet de nuisance que cela aurait avoir !  Retraité de la fonction publique, mon père avait tout le temps libre nécessaire pour mobiliser autour de lui afin de monter une liste concurrente aux élections municipales au lieu que le maire soit réélu automatiquement, faute d'adversaire ! Mais non, il râlait fort, il tonnait parfois mais sans autre conséquence de rendre ma mère un peu plus sourde et d'effrayer les moineaux dans le jardin.   

Nul doute que les français ont beaucoup à dire et une ferme volonté d'exprimer un ras-le-bol ressenti depuis plusieurs années. Mais je doute que cela prenne la voie d'une consultation grandeur nature, mal ficelée telle que l'exécutif la met en oeuvre aujourd'hui. Qui peut raisonnablement croire qu'il n'y aura pas plus de déçus et de désillusionnés dans deux mois que de gens vraiment satisfaits d'avoir été entendus ?

En vérité, la seule solution politique à cette crise sociétale profonde passe par un retour aux urnes, après adoption par la Parlement actuel des réformes institutionnelles qui s'imposent, à savoir la prise en compte du vote blanc (et ses conséquences sur l'égibilité des élus), l'instauration d'une dose importante proportionnelle, seul mode de scrutin apte à rendre l'Assemblée nationale réellement représentative de la diversité d'opinion des français, et un accès plus aisé à l'organisation de référendum consultatif. 

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