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Il y a comme un problème...
14 avril 2012

Liberté, Egalité, Fraternités

Le fronton des bâtiments publics arbore la devise républicaine "Liberté, Egalité, Fraternité". Il s'agit là d'un héritage de la troisième révolution, celle de 1848 ; il s'agit là de trois idéaux censés gouverner la destinée des citoyens et par là, constituer les fondements de la société française. Qui peut raisonnablement prétendre que la France contemporaine n'offre pas ces espaces de liberté et d'égalité, quand bien même notre société est encore loin d'être parfaite et qu'il lui est nécessaire de travailler au quotidien pour que ces deux valeurs s'ancrent encore plus profondément et plus communément dans le socle national ?                                    Non, s'il est une valeur qui n'a pas résisté à l'épreuve du temps, c'est bien celle de fraternité. Une lecture contemporaine pourrait inciter à considérer la fraternité comme le concept social de solidarité. Mais la seconde République se voulait en premier lieu universaliste, et c'est donc bien sous cette acception que la fraternité incarne une valeur complémentaire des notions de liberté et d'égalité. L'idée originelle était que l'union citoyenne, celle-là même qui a permis au peuple de se révolter en 1789 puis en 1848, doit transcender l'individualisme naturel des hommes.

Face à cette "fraternité" au singulier, on doit opposer aujourd'hui la réalité de "fraternités" au pluriel, car force est de constater que notre pays est, à l'évidence, plus gouverné par l'esprit de corps que par l'esprit "fraternel". La solidarité n'est pas universelle, elle s'applique seulement à l'intérieur d'un groupe, voire d'un goupuscule. En soi, l'existence de ces multiples fraternités ne devrait pas représenter un souci particulier pour la démocratie, y compris quand elles représentent et/ou agissent comme un lobby. Il n'y a a priori aucun mal à défendre ou à promouvoir un corps, une école, une institution, un groupe et donc, à leur travers, ses représentants. Le problème se pose en revanche quand l'esprit de fraternité se pare du masque de la vertu et que l'existence cachée de ces fraternités opaques perturbe le bon fonctionnement des institutions démocratiques. Les "amitiés franc-maçonnes", la lutte inter-services ou corps constitués expliquent souvent les ascensions fulgurantes et les chutes fracassantes, des votes politiques apparemment contre-nature, des pactes de non-agression pour le moins surprenants ...  

Hier soir, sur la plateau de Canal+, Nicolas Dupont Aignan a eu raison de soulever cette question du microcosme des éditorialistes qui font et défont l'opinion au gré de leurs propres visions ou intérêts. Car on touche précisément là à l'influence sur notre société de ces fraternités de conviction ou de circonstances. Il existe dans les milieux médiatiques, parisiens notamment, une sorte de ligue qui décide de ce qui est politiquement correct et de ce qui est politiquement inacceptable. Vous avez droit aux honneurs et aux égards si vous correspondez à ses critères d'éligibilité ; vous avez droit aux sarcasmes et à un traitement plus ou moins grossier, et de toute façon partial, si vous ne faites pas partie de son cercle d'initiés. Au fil des temps, au fur et à mesure que le pouvoir médiatique s'est installé dans le quotidien des français, il s'est produit une vraie dérive d'après laquelle un candidat au suffrage universel devrait aussi recevoir l'imprimatur prélable d'une certaine intelligentsia pour bénéficier d'une légitimité à se présenter à l'élection présidentielle. Les 500 parainnages ne suffisent plus ; il lui faudrait donc passer sous les fourches caudines des faiseurs d'opinion. Cette dérive s'est installé quand le "speaker" est devenu le symbôle, et donc la première vedette de "son" émission. Le speaker fait son show pour se mettre en valeur plus que pour mettre en valeur son invité, et cela dépasse le monde de la politique.

Je rappellerai ici pour mémoire le scandale de 2005, où le monde médiatique avait clairement pris position pour le "oui" au référendum et fait campagne aux côtés de l'UMP et du PS pour éduquer les citoyens sur la question européenne. L'univers médiatique avait quitté son rôle d'information pour celui de lobbyiste, avec le "succès" que l'on connait, ce qui prouve que le citoyen n'est pas forcément aussi stupide qu'on veut bien le faire croire ; mais c'est vrai que la chose était tellement évidente qu'il aurait fallu être sourd et aveugle pour ne rien remarquer.

Dans cette campagne 2012, commentateurs et autres éditorialistes, qui fraient au quotidien avec les piliers du système politique, font le lit de leurs favoris en quittant tout à fait impunément leur rôle d'éclaireur du débat public. Et quand bien même les journalistes, intellectuellement honnêtes, cherchent à s'acquitter de leur mission de service public, c'est le système de l'information qui les privent du nécessaire renouvellement des idées.

Il y a une émission dirigée par Yves Calvi sur France 5 qui est bien construite et intéressante à suivre, je veux parler de "C'est dans l'air". Durant des mois, j'en ai été un spectateur assidu, jusqu'à ce que je considère que l'émission est condamnée à tourner en boucle, quelle que soit la qualité et le degré d'objectivité de ses participants. Je ne remets pas en cause la liberté de penser et d'expression des intervenants ; bien au contraire, ils ont droit d'avoir une opinion personnelle et de la défendre, pour autant que celle-ci soit clairement affichée. Le problème tient à ce qu'en donnant la parole toujours aux mêmes invités amenés à débattre sur les mêmes sujets, vous finissez par entendre les mêmes raisonnements et les mêmes points de vue, vous obtenez toujours le même éclairage convenu. Même si il est intéressant, un tel "débat", structurellement limité par les seules interventions des "habitués", devient donc nécessairement réducteur. Si l'on ajoute que ces mêmes intervenants vont se retrouver sur la plupart des plateaux de télévision et des studios de radio, vous avez de fait une situation de répétition préjudiciable à la tenue d'un débat vraiment pluraliste.

On retrouve ces fraternités dans les conseils de surveillance et/ou d'administration des sociétés dites "publiques" : là encore, il s'agit d'un microcosme de dirigeants qui sont amenés à se contrôler les uns les autres. Autrement dit, les salons feutrés bruissent rarement des échos d'un esprit frondeur. Certes, il peut, de temps à autre, s'y livrer des batailles très dures ; pour autant, on remarquera que celles-ci sont essentiellement motivées par des raisons d'ego surdimensionnés et par la volonté sous-jacente d'étendre ses propres pouvoirs, dans le cadre d'une trajectoire de carrière tout à fait personnelle. A ce propos, il faudra m'expliquer en quoi les managers de sociétés dites publiques se croient les propriétaires des groupes placés sous leur direction et s'estiment autorisés à agir comme s'ils l'étaient. Mme Lauvergeon a sans doute d'immenses qualités, personnelles et professionnelles à faire valoir, mais elle ne peut prétendre à aucun droit de propriété, morale ou réelle, sur la société Areva, quand bien même elle en a présidé à la création. Jusqu'à plus ample information, le manager d'une société publique reste un simple salarié, très largement rémunéré d'ailleurs, qui doit se conformer aux décisions des actionnaires ; et si il n'est pas en phase avec son actionnaire majoritaire, en l'occurrence l'Etat et ses représentants, le manager est libre de quitter ses fonctions. Avec un revenu proche du million d'euros annuel, une petite période de chômage est loin de ressembler à une traversée du désert, non ? 

La République gagnerait à transformer son mode de fonctionnement, tout en transparence ; elle gagnerait par exemple à ce que les managers d'entreprises publiques ne soient pas renouvelés dans leurs fonctions après l'accomplissement de deux mandats successifs et qu'ils soient tenus de rompre tout lien avec ladite société à l'issue de leur mandat de gestion. Il n'est pas acceptable que Mme Lauvergeon se croit l'irremplaçable manager d'Areva, tout comme M. Spinetta s'estime incontournable avec Air France. Ces situations perdurent parce que les fraternités, qui, pour la plupart, puissent leurs racines dans les écoles de la Haute administration, sont plus fortes que l'Etat, ce qui ne saurait être acceptable dans un pays démocratique.                                      Ainsi que le légiste Han Fei (280-233) l'a dit, quand le prince n'a plus le contrôle des deux manipules (châtiments et récompenses) pour peser sur ses sujets et qu'il les laissent à ses serviteurs, ces derniers abusent de leurs pouvoirs et le prince en devient le vassal ; quant au peuple, il finit par se retourner contre le prince au lieu de demander des compte aux serviteurs.

Il y a des réformes à faire pour remettre de l'ordre dans le fonctionnement de notre société. Bonne nouvelle, ces réformes ne dépendent ni de Bruxelles, ni des marchés financiers, juste d'une volonté forte de restaurer l'Etat dans ses prérogatives et d'honorer la devise de la République. Vous me direz, c'est sans doute là 'le" problème    

 

Pour finir un petit message personnel pour Mme Lauvergeon (Anne si tu me lis lol) : au lieu d'investir sur Uramin, elle aurait été mieux inspirée de consacrer une infime partie du budget annuel d'Areva à conclure des partenariats de recherche sur les problématiques du traitement des déchets radioactifs. Pour avoir pris contact par trois fois avec cette grande entreprise publique du temps de sa présidence (dans le cadre de mon activité professionnelle), je peux vous certifier que la question environnementale n'était alors pas du tout au centre des préoccupations d'Areva. Vous me direz que son départ n'a rien changé... l'environnement, cela reste une posture de communication, pas une réalité citoyenne, y compris dans les sociétés publiques.        

  

 

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