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30 octobre 2011

Saga polique polynésienne : 2004, le choc

J'ai vécu une dizaine d'années en Polynésie française et je m'efforce de garder le contact avec cette autre France, aussi charmante qu'elle peut être parfois exaspérante. Aussi vous ne vous étonnerez pas si les petites histoires de "Tahiti et ses îles" reviennent périodiquement sur ce blog. D'abord parce que ce territoire,à la fois idéalisé (pour ne pas dire fantasmé) et largement méconnu par nos compatriotes de la métropole, offre l'avantage de concentrer tout ce que peut réserver le microcosme politique dans une démocratie sans forcément abuser de la langue de bois ; ensuite parce qu'il s'y passe un moment historique qu'il me semble intéressant de décrypter.

Pour ceux qui l'ignorerait encore, la Polynésie française s'est placée sur la voie de l'indépendance, un but politique qui, loin d'être partagé par une majorité de sa population, se rapproche pourtant à chaque jour qui passe. Sauf évènement exceptionnel, l'issue finale de ce drame polynésien aux multiples rebondissements est inéluctable. Pour comprendre le processus qui va conduire un pays à faire un choix à son corps défendant, il me faut conter les quelques années qui précèdent. Je vous convie donc au prémier épisode de la saga polynésienne.

Année 2004. Année 0 du processus : le déclencheur

Depuis de longs mois, le chef de gouvernement local, M. Gaston Flosse, oeuvre dans les couloirs parisiens acquis à sa cause et à ses ambitions - il est un fidèle du président Chirac dont il a été un secrétaire d'Etat - pour faire adopter par le Parlement un statut taillé à sa mesure. Son objectif : se doter d'un outil institutionnel devant lui  permettre de conduire le destin d'une Polynésie autonome sans craindre les oppositions des autres formations politiques en place. En effet, sous la houlette d'un jeune leader charismatique, Boris Leontieff, un parti est en train de se positionner sur l'échiquier politique  pour contester l'hégémonie du parti présidentiel à très court terme. Même s'il n'y a pas encore péril en la demeure, M. Flosse, en dirigeant avisé, se doit d'anticiper la manoeuvre, d'où, dans le projet de statut, une disposition électorale attribuant une prime de représentativité à l'Assemblée locale, dite prime majoritaire,  au parti ayant recueilli le plus de voix lors du scrutin.

La vérité est que ce statut, bien qu'imparfait, est une bonne chose pour le pays mais qu'il est largement desservi par celui-là même qui l'a voulu et qui le porte en bannière électorale. Le président en quête d'un plébiscite qui ne dit pas son nom n'a pas pris conscience des attentes et des besoins de ses concitoyens. S'est-il laissé couper à ce point de la population par ses conseillers, qu'il ne peut sentir le souffle d'un changement en marche, changement de comportements autant que changement d'homme ? Le fait est que la candidat Flosse va commettre une série d'erreurs, inexplicables venant d'un tel animal politique. Communication défaillante, il laisse s'installer l'impression dans l'opinion publique - même celle qui est traditionnellement acquise à sa cause et à son bilan - qu'il veut définitivement capter tous les pouvoirs à son profit et s'installer dans une sorte de "présidence à vie". Il se révèle tout autant incapable d'expliquer clairement les réelles avancées du statut nouveau. Enfin il n'arrive pas convaincre sur ses motivations et prête le flanc aux attaques venant de toutes parts au sujet de cette présidentialisation instituée de la vie publique. Cette prime majoritaire, qui semble sonner le glas de l'espérance pour les petits partis et les adeptes du "changement possible", devient le principal sujet de mobilisation qui va concentrer toutes les frustrations accumulées contre la présidence Flosse, le personnage haut en couleurs, l'omni-président depuis déjà une dizaine d'années. En quelques mois, Flosse va réussir l'exploit d'allier de fait l'ensemble de ses adversaires dans un même combat pour la pluralité politique.

Dans ces conditions, le scrutin de mai 2004 se révèle contraire au parti du président, le Tahoeraa Huiraatiraa, ou parti "Orange". Ce n'est pas encore une catastrophe, mais il s'agit à l'évidence d'une très mauvaise opération puisque c'est cette même prime majoritaire qui vient brouiller la donne, le bonus de 30% tombant dans l'escarcelle d'une coalition hétéroclite emmenée par le leader historique de l'indépendance, M. Oscar Temaru. Le dépouillement ainsi que le déroulement de la campagne donnent immédiatement lieu à contestation et les résultats font l'objet de recours devant les instances judiciaires. Il s'ensuit un climat délétère pendant plusieurs mois durant lesquels le pays connaît ces premières turbulences politiques et sociales. Présidence légitime et présidence légale s'affontent, mais à la vérité, il s'agit d'abord de l'affrontement entre deux ennemis personnels de 30 ans, alors que se profile déjà le possible spectre de l'indépendance. Alors qu'en janvier 2004, le parti indépendantiste, le Tavini Huiraatiraa, fort de ses 20% d'électeurs, ne peut imaginer prendre un jour le pouvoir par les voies légales, le voici désormais en position favorable pour confisquer durablement. Dans un pays où l'électorat est au trois quarts "autonomiste", l'exploit est de taille, comme est de taille la peur des uns et les espoirs des autres.

De manoeuvres parlementaires en décisions judiciaires, le pays finit l'année 2004 dans l'incertitude la plus complète quant à son avenir puisque de nouvelles élections doivent intervenir au début de l'année 2005. Pendant une dizaine de mois, la société polynésienne a vécu au ralenti et en fourbissant leurs diatribes, les élus ont oeuvré pour la diviser profondément, durablement.

Fin du premier chapitre de l'histoire d'une descente aux Enfers sous les tropiques...

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