Le bipartisme nuit-il à la démocratie ?

Le Bipartisme nuit-il à la démocratie ?

Répondre par l'affirmative à cette question ne signifie pas que le bipartisme serait anti-démocratique par définition. C'est un mode de fonctionnement institutionnel particulier qui doit en premier lieu se référer à une culture politique spécifique. Le bipartisme à la française ne s'organise ni ne se vit de la même façon que le bipartisme à l'américaine. Je limiterai donc mon propos au cas de la France.

Dans notre pays, un tel mode de fonctionnement des institutions démocratiques constitue à la fois une hérésie pour les descendants (spirituels) des libres-penseurs du XVIIIème siècle et un frein à l'expression d'une vraie représentativité des citoyens, de celle qui reflète l'extrême variété de nos modes de pensée et de nos modes de vie notamment. Regardons la réalité des chiffres : ce déni de démocratie qu'est l'abstention tient beaucoup au fait que nous tendons déjà vers un bipartisme de la pensée politique (droite vs gauche), à défaut d'un bipartisme de fait,  la survivance ou l'émergence de micro-partis tenant surtout de l'expression d'ambitions présidentielles de leur leader. S'il y a pléthore de candidats aux législatives, cela reste basiquement un vote "pour ou contre" et un vote "droite ou gauche". Or comment un citoyen peut-il s'exprimer quand il ne se reconnaît ni de l'un, ni de l'autre bloc ?

Car ce bipartisme ambiant, qui doit beaucoup à la création de l'UMP (à droite) et à l'effondrement du PC (à gauche), tend à instaurer dans la nation française un manichéisme de la pensée politique, concept erroné quant à ses bases autant que dangereux quant à ses conséquences inéluctables à plus ou moins long terme. Comme si "ne pas être de gauche" devait nous condamner à être "forcément de droite", et réciproquement !? Le bipartisme, c'est vouloir copier un tableau de maître avec seulement deux couleurs. On peut basiquement se débrouiller, mais on n'obtiendra pas de miracle et surtout  le résultat ne trompera, ni ne satisfera personne.

Ce fractionnement en deux parties quasi égales de l'échiquier politique français ne correspond pas du tout à l'esprit frondeur et contestataire de notre pays. Si il aime la politique (sans trop apprécier les politiciens d'ailleurs), le citoyen n'est pas pour autant politisé. De la même façon qu'il se tient éloigné de l'embrigadement syndical, le "citoyen politique" ne s'encarte pas facilement. Parce qu'il sait que la vérité, comme la foudre ou l'obus de mortier, tombe rarement deux fois au même endroit. Le bipartisme est réducteur dans ses positions, grossier dans son schéma de pensée, et somme toute très éloigné des réalités qui constituent notre quotidien. Parce que je suis de gauche (de droite - choisissez, je ne suis pas sectaire lol), je devrais souscrire à tout ce que disent les représentants de cette gauche (droite), même les contre-vérités les plus criantes ? En vertu de quel principe mon adhésion au positionnement politico-idéologique dûment estampillé droite ou gauche sur la question de la sécurité, de l'immigration, de l'éducation ou de la santé me priverait du droit de me reconnaître aussi dans des valeurs revendiquées et défendues par l'autre bord en matière de politique étrangère, de défense, d'environnement, de finances ou de justice ? Si personne n'a le "monopole du coeur", aucun ne peut s'arroger le droit d'incarner, seul, une valeur, une vertu ou une pensée. C'est stupide, c'est encore plus dangereux, particulièrement quand ces d'aucuns trahissent cette valeur ou cette vertu !!

Le bipartisme installe un discours politiquement correct qui nuit à ce point au débat public que les vrais sujets - ceux qui embarrassent - passent à la trappe, que les points de vue dissidents sont tus ou gommés, que l'on enferme le citoyen dans un carcan mental, voire moral. 

Le bipartisme à la française est à ce point nocif que l'alternance politique se traduit en premier lieu à défaire ce qui a été fait précédemment non tant pour imprimer la marque d'un changement, (lequel changement sera d'ailleurs rechangé lors de l'alternance suivante, exception faite quand cela concerne la création de taxes qui elles perdurent et se multiplient même à chaque alternance), mais pour justifier d'une idéologie contraire. On se retrouve ainsi dans un immobilisme actif-réactif, un pas en avant, un pas en arrière... Ce n'est ni raisonnable, ni facteur de progrès. Pour autant, instaurer une proportionnelle intégrale comme moyen de booster le multi-partisme conduirait à une autre sorte d'immobilisme, celle du blocage permanent, chaque micro-parti représenté cherchant à tirer bénéfice de son rôle potentiel de pivot de l'action gouvernementale.

Depuis la nuit des temps, l'humanité a puisé les inspirations de son développement dans l'observation de la Nature. Aujourd'hui, nous serions bien inspirés de prendre exemple sur son mode de fonctionnement - le seul qui "marche" en réalité - et faire en sorte de nous éloigner, notamment en politique, du mode "compétition" pour adopter un mode plus conforme à l'épanouissement de tout (éco)-système, celui de la "coopération".  En guise de solution alternative au bipartisme nuisible à l'expression démocratique, il faudrait donc encourager la création de partis politiques qui s'affranchissent ab initio de ce positionnement sclérosant et surfait "droite-gauche" en adoptant des réflexions et des positions transversales.  Ajoutons à cela une dose de proportionnelle à un scrutin majoritaire pour faire de l'Assemblée nationale une représentation fidèle de l'électorat, et le bipartisme à la française aurait vécu sans pour autant que la France ne retombe dans les affres de la IVème République.