Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Il y a comme un problème...
6 avril 2012

Mélenchon, la fusée de la révolution rouge

Le suffrage universel direct réserve toujours son lot de surprises, surtout quand il s'agit de choisir le président de la République. En 1995, le duel fratricide Balladur-Chirac a favorisé le challenger des sondages ; en 2002, ce fut la déconfiture du candidat PS dès le premier tour, et en 2007, la brève éclaircie centriste, portée par le bon score de François Bayrou. Cette fois-ci, la capacité de mobilisation des militants et sympathisants du Front de gauche laisse augurer d'un tonitruant et flamboyant retour du communisme révolutionnaire.

Mais est-ce vraiment surprenant ? La primaire socialiste et le déroulement de cette campagne ont ouvert un véritable boulevard à l'excellent tribun qu'est Jean-Luc Mélenchon. Retour sur une ascension médiatique et populaire en trois temps.

Le premier étage de la fusée Mélenchon s'intitule "primaire socialiste". Celle-ci a donné une vraie légitimité tant au discours qu'à la candidature du leader du Front de gauche. Avec cette primaire, généralement présentée comme une avancée dans l'exercice de la démocratie politique, le parti socialiste poursuivait en fait un double objectif : arbitrer le combat au sein de ses courants et lancer une dynamique électorale en faisant appel au "peuple de gauche". Force est de constater que la primaire socialiste a surtout contribué au renouveau du gauchisme. Certes, ce processus de sélection a permis au PS de monopoliser les projecteurs médiatiques sur lui pendant trois mois, ce qui lui a donné l'avantage de la visibilité, à défaut d'un réel engouement (le score de Hollande au 1er tour est loin d'être transcendant !). La primaire a surtout eu l'inconvénient majeur d'exposer longuement six déclinaisons, plus ou moins antagonistes, de la "pensée socialiste" (pour autant qu'elle existe) ; elle a suscité, chez certains électeurs, les espérances d'un changement radical (or la motion Montebourg ne pouvait que rester minoritaire), comme elle a légitimé des solutions extrêmes, pour ne pas dire extrêmistes, pour finalement  déboucher sur la victoire (prévisible) du plus neutre, sinon du plus transparent, des prétendants à l'investiture, M. Baylet excepté.                                                                   Quand on prend la décision de confronter des personnalités issues d'un même mouvement politique dans un combat public fratricide, on court nécessairement le risque de faire des déçus parmi ceux qui ont sincèrement adhéré à un discours minoritaire, redevenu inaudible par le choix des urnes. Avec la victoire de M. Hollande, le message combatif et alter-mondialiste de M. Montebourg s'est retrouvé orphelin. Cette primaire "organisée pour le peuple de gauche" a logiquement fait le lit d'un candidat à gauche qui saurait reprendre à la fois les thématiques socialistes abandonnées et leurs sympathisants, mis en attente d'un nouvel héraut. Ce qu'il est particulièrement intéressant de remarquer, c'est le fait que Jean-Luc Mélenchon a adopté, quant à lui, une stratégie totalement à l'opposé du processus socialiste, en conduisant une OPA amicale, entendre une Offre Politique d'Association, à l'attention des autres partis de gauche. D'emblée, ce fin tacticien se positionne en rassembleur au-dessus des partis, tandis que le PS affiche ses divisions ; il joue sur la posture de l'homme qui va se dévouer à une cause, quand le PS montre d'abord des ambitions personnelles ; et surtout il entend incarner le recours providentiel, pour des communistes en déconfiture électorale permanente (mais qui connait, de nos jours, le nom ou le visage du secrétaire général du PC ?!!), pour Lutte Ouvrière, privée de icone Arlette et pour NPA, sans son facteur charismatique. Que LO et NPA décident finalement de ne pas le suivre lui importe peu, il a initié un mouvement dont il sait déjà qu'il siphonera leur potentiel électoral. Dans sa montée en puissance initiale, Jean-Luc a su se faire "désirable et désirer", il a suscité une certaine dynamique et un véritable engouement autour de sa personne, il n'a pas cherché à se faire élire, il a tout fait pour répondre présent à un plébiscite qu'il a subtilement initié. Quand Hollande navigue à gauche, Mélenchon s'ancre résolument à gauche, c'est là tout la différence entre la posture de gestionnaire, défendue par le premier, et le positionnement intransigeant de l'autre à défendre des idées simples et populistes.

Au deuxième étage de la fusée Mélanchon, on trouve le concours, sinon la complicité des médias qui favorisent son ascension. Tandis que le PS sort son programme électoral dans une relative indifférence, en comparaison avec le matraquage occasionné par les primaires s'entend, Mélanchon truste les plateaux radio-télévisés avec une vraie gourmandise et un vrai talent. Car c'est là l'atout majeur du candidat du Front de gauche : il possède cette facilité de l'orateur-né à délivrer des messages simples en autant de formules chocs. J'ai déjà eu l'occasion de l'écrire, Jean-Luc est le client idéal pour un journaliste en mal d'audience : il est direct, souvent drôle et toujours pouvoyeur de bons mots. Mélenchon est la pépite du PAF, alors que Hollande en est encore à composer son équipe de campagne et à chercher à s'approprier un programme principalement concocté par ses deux ennemis intimes, Aubry et Fabius. Bien qu'il partage avec Marine Le Pen des positions économiques sensiblement équivalentes, il bénéficie d'une plus grande indulgence et d'une plus large liberté d'expression quand Marine se fait sans cesse retoquer en plateau. A croire que si l'extrême-droite ne saurait être fréquentable que par obligation professionnelle, l'extrême-gauche est naturellement sympathique. Sans doute rappelle-t-elle aux journalistes la nostalgie de leur jeunesse "révoltée" ?! Ceux-ci laissent "les clés du studio" à un Jean-Luc qui n'en demande pas tant. Alors que la droite est orpheline de son candidat non déclaré, alors que Hollande se met en place, et que Bayrou et les autres prétendants candidats n'intéressent pas les médias, Mélenchon déroule son plan de communication, servi par le premier duel qu'il s'est choisi, son positionnement anti-Front national. Car ce n'est pas un hasard si Mélenchon combat sous la bannière intitulée "Front de gauche" : il sait qu'il lui faut d'abord faire sa place en récupérant de l'audience électorale à l'autre extrême, les deux chassant sur les mêmes terres. Quoi de mieux alors que de se calquer sur la stratégie qui avait servi au succès de Bernard Tapie : s'ériger en champion anti-FN. Alors que les "ténors" politiques se dérobent devant Marine, refusant de débattre face à face avec le FN, lui veut au contraire porter le fer et la contradiction, car il se sait meilleur orateur qu'elle. Ce n'est pas un hasard si, au plan médiatique, Mélenchon suit ou précède toujours Marine, quand ils ne se croisent pas sur les plateaux. De novembre 2011 à janvier 2012, Mélanchon est partout ; il est le bon client qui fait l'audience et qui permet de meubler les émissions politiques en attendant que le duel Sarkozy-Hollande ne débute. Une fois sa place anti-frontiste national bien assurée, Mélenchon peut engager son second duel, celui qui l'oppose à François Hollande. Et là il va être servi à la fois par la tactique et par la personnalité de son concurrent direct du 1er tour.

En effet, cet accueil médiatique préférentiel n'est rien par rapport à la teneur de la campagne elle-même, laquelle constitue le troisième étage de la fusée Mélenchon. La France compte quatre millions de chômeurs, huit millions de personnes vivant dans une précarité certaine et encore plus, issues de la classe moyenne, qui se demandent actuellement non plus si, mais quand leur tour viendra d'en appeler aux aides sociales pour survivre. La France est en crise, crise financière et économique bien sûr, crise morale et identitaire tout autant. Les français sont inquiets ; les français sont déçus ; les français sont en colère. Ils attendent des réponses d'un milieu politique institutionnel qui donne l'impression de se complaire d'une situation économique et sociale, pourtant critique, et à laquelle les gouvernements de droite comme de gauche ont largement contribué au cours des trente dernières années. Ils attendent de cette campagne, à défaut d'une vision rassurante pour l'avenir, des perspectives moins sinistres que ce seul objectif budgétaire "européen" dont ils ne comprennent ni la raison, ni l'importance. Face à ces inquiétudes, face à cette colère, face à cette incompéhension, force est de constater que le PS et l'UMP ne leur apportent pas de réponses satisfaisantes. Ils restent engoncés dans une logique de gestion de crise jusque dans leurs promesses électorales, somme toutes mesurées, sans commune mesure avec la forte attente populaire. Sarkozy et Hollande sont déjà engagés dans leur duel du second tour ; ilssavent qu'ils auront de comptes à rendre à leurs électeurs. Mélenchon lui joue sur du velours : il peut promettre ce que bon lui semble en matière d'augmentation des salaires, d'avantages de ci, de solutions comme ça, il sait parfaitement qu'il ne sera pas au second tour, et si par un hasard extraordinaire il se retrouvait qualifié, il ne serait, de toutes les façons, pas élu. J'ai lu que le coût de ses promesses tous azimuts avait été évalué à cent millions d'euros. Face aux deux grincheux grippe-sous, Mélenchon c'est Crésus et le Père Noël réuni. Il donne si bien l'impression de croire en ce qu'il dit qu'il donne l'envie aux "masses populaires" de le croire lui. Mélenchon le tribun fait rêver le peuple de gauche avec sa posture généreuse et les bobos avec son côté révolutionnaire tiré à quatre épingles ; il enchante, bien servi il est vrai par un François Hollande dont la "normalité" lui confère en contre-point le charisme d'une huître. Mélenchon réinvente les sovkhozes, il entend faire souffler le vent rouge sur les plaines de France et d'Europe. Les peuples sont en marche, il les entend. C'est beau et révolutionnaire comme l'âme de cette France historique, aujourd'hui en mal de repères. C'est surtout dangereux. Dangereux pour la démocratie, dangereux pour la société française. 

Quand l'exaltation du moment fait dire au tribun que  "la démocratie politique (...) s'exprime en une idée centrale, ou mieux encore en une idée unique: la souveraineté politique du peuple, c'est-à-dire n'obéir qu'aux lois auxquelles on a personnellement contribué avec son vote", il ouvre ni plus ni moins la porte à l'anarchie. Si l'on suit son raisonnement, chaque citoyen serait donc en droit d'accepter certaines lois et d'en refuser d'autres au motif que les premières lui conviennent et pas les autres. L'un des principes fondateurs de la démocratie, c'est que la loi s'applique à tous de façon uniforme et donc équitable. Contrevenir à ce principe de base revient à instaurer des règles à multiples vitesses, et donc à s'affranchir de toute règle qui soit commune à tous. Cela s'appelle l'anarchie.

Tout à leur tactique du jeu-à-chat qui refuse de poser clairement le débat et les solutions concrètes donnant une lisibilité à des français laissés à leurs inquiétudes, Sarkozy et Hollande ont laissé Mélenchon capitaliser sur le "non-de-gauche" à l'Europe, sur le "non-gaulliste" à l'OTAN, sur le "Révoltez-vous" du Résistant, sur la colère de tous ceux qui se sentent floués par la vie, par la politique, par la société et sur le rêve sonnant et trébuchant de lendemains qui chantent et enchantent. En refusant le "débat face aux français" d'avant le premier tour, Hollande et Sarkozy donnent corps aux discours de Mélenchon, aussi contestataires que contestables ; il en cautionnent les solutions "alternatives". Faire de la politique, ça suppose d'endosser ses responsabilités : Hollande et Sarkozy ont ouvert un boulevard à la révolution rouge, version Mélanchon. A eux de trouver les moyens de l'endiguer avant que cette pression populaire, la seule dynamique de cette campagne électorale désespérante, ne finisse par tout balayer sur son passage. Car là il y aurait un problème...

 

,

   

Publicité
Publicité
Commentaires
Il y a comme un problème...
  • Un regard décalé sur l'information du moment, des analyses originales sur les sujets d'actualité, un point de vue dérangeant qui pose de vraies questions sur notre société et son mode de fonctionnement.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Il y a comme un problème...
Archives
Publicité