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Il y a comme un problème...
7 avril 2012

Bayrou : autopsie d'un cas à part

J'évoquais hier le cas de Jean-Luc Mélenchon ; j'aimerais dire quelques mots aujourd'hui de celui qu'il va probablement supplanter dans le rôle du "troisième homme" de cette élection, François Bayrou.

Le président du Modem est un cas à part dans le paysage politique actuel, une somme de paradoxes qui nuisent au message politique qu'il porte dans cette campagne. A la différence de Mélenchon qui a su tirer parti de ses faiblesses pour bâtir une forte dynamique, Bayrou semble n'avoir de cesse que de dissoudre son potentiel de force. Avec son expérience politique, avec ces cinq années de préparation, comment une telle situation a-t-elle pu se produire ? Comment se fait-il que Bayrou soit un abonné régulier  des  bêtisiers politiques au lieu d'être le fer de lance de cette campagne ?                                                                                      François Bayrou est un vieux routard de la politique : il a su pousser VGE vers la sortie en se réappropriant l'UDF puis refonder son mouvement pour ne pas être aspiré par la machine UMP, et pourtant on peine à voir en lui un vrai stratège politique, compte tenu du déroulement de sa campagne. C'est un habitué des arcanes du pouvoir comme des salons dorés de la République, et pourtant il persiste à donner l'impression d'une certaine naïveté politique, attendant des ralliements qui ne viennent jamais, refusant des alliances qui seraient susceptibles de faire avancer ses idées ou son projet. C'est un homme de lettres, et pourtant il n'a toujours pas cultivé chez lui l'esprit de répartie qui, d'une pirouette, permet de se sortir d'une situation-piège ou d'une question embarrassante. C'est un professeur de formation et pourtant il éprouve une vraie difficulté à faire passer ses messages en public. C'est un homme assurément posé et intelligent, et pourtant il donne souvent l'impression d'improviser ou de ne pas être sûr de son fait. C'est un homme qui concourt pour la troisième fois pour la présidence de la République, et pourtant il persiste dans son look gentleman-farmer, dont il sait pertinemment qu'il ne cadre pas avec l'image que les électeurs se font d'un prétendant à la fonction suprême.

Quelque part, François Bayrou est anachronique, sorte d'Hibernatus politicus, héritier spirituel en droite lignée de Georges Pompidou. Il postule que les idées priment l'image, que le fond doit l'emporter sur la forme, que la cohérence de l'action et de la posture politiques finit toujours par supplanter l'opportunisme et l'arrivisme. Il veut croire en l'avenir du mouchoir, alors qu'il s'adresse aux générations du Kleenex. Il n'est pas déconnecté de la réalité du terrain électoral, mais, en idéaliste, il rêve de pouvoir la changer pour remettre du sens dans une société qui n'en a plus depuis longtemps.  

Mais plus que tout, François Bayrou est un paradoxe en politique. C'est un centriste, mais il sait faire montre d'obstination, d'autorité, voire d'autoritarisme (selon le jugement de "purs" centristes, c'est dire lol). C'est un centriste,mais il sait faire preuve de convictions fortes qui lui font refuser les compromissions de circonstances. En d'autres termes, Bayrou est piégé par François. Ses opinions, mesurées, réfléchies et équilibrées, en un mot "centrales", s'opposent à son tempérament béarnais et à sa force de caractère. L'homme est à sa place, mais sa place n'est pas la bonne. Le centrisme est, traditionnellement et par raison d'être, une voie de complément quand Bayrou voudrait qu'il constitue une voie à part entière. Mais demande-t-on à l'arbitre de football de marquer des buts ? La "troisième voie" est aujourd'hui pure illusion : il lui faudrait bénéficier de circonstances exceptionnelles pour siphonner le réservoir électoral de l'une des deux équipes évoluant à sa droite et à sa gauche du terrain politique ; et encore la victoire ne pourrait-elle être que provisoire, voire usurpée. Le bipartisme actuel condamne le centrisme tel que Bayrou le conçoit. Pour que la donne change et que François accède à ce destin national qu'il ambitionne, il faudrait un rééquilibrage du paysage politique avec un retour à un vrai bipartisme à gauche (PS - Front de gauche) qui conduirait à un renouveau du bipartisme à droite. La chance de Bayrou à moyen terme, c'est le succès de l'entreprise Mélenchon, pour autant qu'elle ne constitue pas un feu de paille. La chance de Bayrou, c'est l'implosion prévisible de l'UMP après le départ de Sarkozy. Mais en 2017, il sera sans doute trop tard pour le Béarnais.

Pour ce qui est de la présente campagne, Bayrou est un homme qui a beaucoup de choses à dire mais qui ne s'est pas donné les moyens de se faire entendre. Aurait-il opté pour cultiver l'image romantique d'un mal aimé incompris de tous, seul visionnaire piégé sur son rocher pyrénéen, qu'il ne s'y serait pas pris autrement ?! En attaquant frontalement les médias, il se prive d'alliés potentiels pour s'en faire de vrais ennemis. Or si Bayrou rame aujourd'hui, c'est bien parce qu'il est en déficit d'image, ce qui n'est pas admissible après 30 ans de carrière politique de premier plan. Sa posture 'traversée solitaire et volontaire du désert" durant la mandature Sarkozy l'a surtout desservi alors qu'elle aurait pu être un tremplin pour 2012. Non seulement il est devenu transparent au plan médiatique, mais sa stratégie personnelle lui a fait perdre le peu de forces politiques avec la sécession fomentée par Morin et Lagarde. De fait, Bayrou veut prétendre à jouer le même jeu que Hollande et Sarkozy, sauf qu'il n'évolue plus dans la même cour. Sa cour à lui, c'est celle de Mélenchon et de Le Pen, ces candidats qui, parce qu'ils ne sont représentatifs que d'eux-même et/ou d'une idée ne peuvent déléguer à d'autres le soin de faire passer leur message. Personne ne saurait porter le message frontiste en dehors de Marine ; personne ne saurait incarner le Front de gauche, excepté Jean-Luc. Bayrou n'a pas les porte-flingues patentés pour tester des formules ou percuter avec violence, voire avec bassesse, ses adversaires ; il ne dispose pas de "premiers couteaux" reconnus et crédibles pour occuper l'espace médiatique en l'absence du patron. Le porte-parole du candidat Bayrou, c'est François lui-même. Or si la présidentielle est sans doute "la rencontre d'un homme avec le peuple",  il n'a jamais été dit qu'il faut que l'homme soit seul. Mélenchon est porté par une force militante qui sait se mobiliser, Le Pen se maintient avec un fond de commerce monopolistique ; Bayrou, lui, donne l'image d'un homme vraiment seul, sur un créneau, le centrisme qui peut remplir des urnes mais pas les salles de meeting. Or l'électeur indécis se comporte comme les moutons de Panurge : il suit le mouvement de foule.

Ce qui manque à Bayrou, c'est d'abord une petite équipe efficace qui puisse exister par elle-même sans faire de l'ombre au boss et qui puisse légitimer la candidature de son champion. Ce qui manque à Bayrou, c'est un noyau dur  qui l'assiste efficacement autant qu'il le protège. Ce qui manque à Bayrou, c'est une communication qui soit à l'image de ce qu'il est, et non à l'image des idées qu'il défend. Ce qui manque à Bayrou, c'est de comprendre justement que c'est d'abord l'image qui prévaut dans notre société moderne. Rappelez-vous la récente mini-polémique concernant le cliché montrant un Hollande fatigué et avachi à la Une de Libération. François Bayrou s'arc-boute sur cette conviction très professorale que les mots ont un sens quand l'image est futile. Sauf que l'image distrait, divertit ou démobilise quand elle n'est pas maîtrisée ; sauf que l'image peut aussi servir le discours quand elle l'est.

Ce qui manque à Bayrou, c'est une part d'humilité pour accepter conseil et contradiction, c'est une part de concession pour voir au-delà du présent pour faire triompher ses idées sans pour autant faire offense à ses convictions. La posture "ni droite, ni gauche", celle-là même qui a été éprouvée par ses alliés de Polynésie française, Schylle et Bouteau en 2004, peut conduire le pays à des moments très difficiles, ainsi qu'en témoigne la tragique expérience Temaru. Quand on veut vraiment que le navire quitte les eaux dangereuses, il vaut mieux être à bord à seconder la défaillance du capitaine que sur la plage avec un porte-voix. En 2004, les "Ni-ni" polynésiens auraient dû contre-balancer les excès de Gaston Flosse au lieu de tenir la porte grand ouverte à l'indépendantiste ; en 2007, François aurait dû intégrer, d'une façon ou d'un autre, la majorité d'ouverture de Sarkozy, quitte à jouer la rupture plus tard au nom de ses convictions.   

François Bayrou est un homme juste et sincère (enfin autant que peuvent l'être des personnalités politiques poursuivant des objectifs ambitieux, bien entendu) qui a la naïveté (relative certes, mais réelle) de croire sa propre vérité. Dans le paysage politique actuel, c'est un homme anachronique, mais cela ne veut pas dire qu'il ne pourrait pas être l'homme de la situation, bien au contraire. Bayrou, c'est l'oiseau rare, une animal politique en voie de disparition quand la nouvelle génération est tout à l'opposé de lui : sur-investissement dans l'image et absence totale de conviction.       

François, réveille-toi, la France a besoin de toi.

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