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Il y a comme un problème...
1 avril 2012

Gouverner, c'est toujours choisir un lobby

Selon toute vraissemblance, le ministère de l'Agriculture va être amené à statuer rapidement sur le devenir du pesticide "Cruiser OSR" après la publication de deux études démontrant l'impact négatif de ce produit sur les abeilles. M. Le Maire va donc devoir choisir entre les producteurs de colza et les apiculteurs quelques jours avant le premier tour de scrutin ; à moins qu'il ne préfère botter en touche, et ce faisant, opter pour la menace plutôt que pour le principe de précaution.

On touche là à l'autre définition du verbe gouverner. Si "gouverner, c'est prévoir", gouverner c'est d'abord et surtout prendre des décisions, c'est-à-dire procéder à des arbitrages. Dans une réalité quotidienne où rien n'est sûr à 100%, où rien n'est ni parfaitement blanc, ni totalement noir, on comprend la difficulté à se mouvoir en permanence dans un gris incertain. Vous croyez que Sarkozy, Fillon, Hollande et tous les autres ne préféreraient pas vous faire plaisir, me contenter, nous donner entière satisfaction à tous et tout le temps ?! Cela leur permettrait d'être élus à vie et de profiter des bons moments qu'offrent puissance et postes à responsabilités. Ce rêve, ils l'ont, comme nous l'avons pour eux, et il s'exprime à travers la campagne électorale, avec toutes ses merveilleuses promesses, impossibles à tenir car par trop contradictoires. Voyez Mélenchon, le surfeur des sondages incarnant le retour de l'homme en rouge, à la fois communiste et Père Noël. Une campagne d'avant scrutin, c'est le moment où l'on veut croire, c'est le Noël des citoyens, avec des candidats aux hottes pleines de cadeaux salariaux, fiscaux et autres. On veut rêver, et les postulants à la magistrature suprême rêvent avec nous.

Quand la récréation est finie, c'est le retour aux réalités, et cette réalité tient en trois mots : prendre des décisions. Voilà pourquoi une majorité PS-EELV-Front de gauche, avec un Hollande aux commandes semble un attelage impossible à diriger le pays. Au gouvernement, on décide, on tranche dans le vif si on est courageux ou qu'on se sent fort ; ou bien on ménage la chèvre et le chou, quitte à faire un éternel tango, si on est un éternel indécis (le point faible d'un Bayrou qui ne tape pas assez du poing sur la table) ; ou encore on tergiverse en repoussant la décision en espérant qu'une petite lumière s'allume ou que le vent tourne, si on est définitivement faible.

Mais prendre une décision quand on est en charge de l'Etat, cela revient à quoi, concrètement ? Cela revient à faire un choix entre deux groupes de pression opposés ; dans le meilleur des cas, cela revient à donner satisfaction à un lobby au détriment d'un autre ; dans le pire, cela revient à abonder dans le sens du puissant ou du monopole parce qu'il n'y a rien en face pour s'opposer.       Dans les dossiers de pesticide, comme le "Cruiser OSR", cela revient à arbitrer entre le lobby des industries agro-alimentaires appuyé par le lobby des industries chimiques et des groupes plus disparates, d'essence écologiste et/ou mono-spécifique (agriculteurs "bio", associations de consommateurs....), en l'occurrence ici les apiculteurs. Rarement équilibrés, ces combats, plus ou moins médiatisés, s'apparentent souvent à la lutte du pot de terre contre le pot de fer.  

Ce qu'il faut bien avoir à l'esprit ici, c'est que dans notre monde gris ombré, chaque camp grouille d'experts et d'études qui sont contradictoires. Aussi dès lors qu'il y a un doute, le décisionnaire ministériel va réagir en "homo politicus" en statuant en fonction de critères éminemment politiciens. Si on est proche d'une échéance électorale et que le sujet entre dans le débat, il va faire le compte de ce qu'il a à gagner ou à perdre en fonction de son choix : moratoire, approbation ou interdiction : combien de voix en plus ou en moins ? Dans les autres cas, il va principalement réfléchir en terme économique, ce qui constitue de fait une prime au lobby le plus puissant.     

Grenelle de l'Environnement ou pas, ce n'est pas l'Ecologie qui mène l'action gouvernementale - ni celle de droite, ni celle de gauche, quand bien même le PS s'allie avec EELV pour diriger le pays en juin 2012. Le développement des énergies nouvelles ou de l'agriculture biologique, les investissements consentis sur le "carbone", sur les déchets et le recyclage, vous croyez vraiment que c'est pour entrer dans le cercle vertueux du développement durable ? Que nenni, mes amis : le moteur de l'action politique, c'est la création d'emplois. Les filières vertes sont encouragées uniquement parce qu'elles constituent des bassins supposés porteurs pour la création d'emplois, des emplois qui ne peuvent pas se délocaliser. Avec près de quatre millions de chômeurs, l'emploi est le souci numéro un des élus, depuis le maire dans son village perdu (en France, les villages sont toujours "perdus" lol) et les conseils généraux et régionaux jusqu'à Matignon et à l'Elysée. Les trois priorités de la puissance publique ? L'emploi, l'emploi et l'emploi.

Energie solaire : voilà un secteur porteur en terme d'emplois nouveaux. La puissance publique embraye immédiatement, enfin je veux dire après le feu vert du lobby nucléaire bien sûr. Las, le panneau photovoltaïque est essentiellement produit en Chine. Effet immédiat : on supprime les suventions, et tant pis si la filière hexagonale se meurt. En Allemagne ils ont créé une filière "made in Germany" qui marche très bien... Cherchez l'erreur..

Si vous avez une bonne idée, un excellent produit ou un procédé innovant, vous intéresserez la puissance publique et vous serez soutenus financièrement, mais seulement pour autant que vous créeiez des emplois ; sinon, vous pouvez aller voir ailleurs, votre "truc", pourtant révolutionnaire, pourtant porteur de solutions écologiques, n'intéresse personne.

Le cerveau du politique fonctionne avec une calculette à emplois. Qu'importe que le gros pourvoyeur d'emplois locaux, directs et indirects, fabrique du poison ou représente un danger potentiel pour l'environnement et les populations, il répond à un besoin politico-économique : ne pas aggraver les statistiques du chômage. Et puis "il y a une réglementation et des services de contrôle pour éviter les problèmes", donc circulez, il n'y a rien à voir.

Dans la cas du "Cruise OSR", le fabricant est suisse ; donc les apiculteurs - et surtout les abeilles - ont encore une chance de s'en sortir. Car souvent les lobbies industriels font, plus ou moins ouvertement, du chantage à l'emploi, menaçant d'une fermeture d'usine ou d'une délocalisation. Et c'est cet état de fait qui conduit les gouvernements à prendre des décisions en tenant compte uniquement du court terme, électoral ou économique. De toute façon, les "décideurs responsables" sont rarement jugés "coupables" quand les scandales finissent par se produire. Servier et son Mediator, c'est un problème de santé publique qui se résume à ça, la préservation des intérêts d'un laboratoire français... et là ce n'est que la partie émergée de l'iceberg (pub gratuite pour Titanic en 3D ici lol). Rappelez-vous le Chlordécone et la banane antillaise... Combien de morts et de malades à venir pour la protection d'une filière économique ? 

Quant à ceux qui pourraient penser que j'en fais un peu beaucoup pour les abeilles, je les encourage à aller voir les cerisiers en fleurs dans leur jardin ou dans la campagne environnante : la question écologique n'est pas au niveau de la production du miel ; elle tient au fait que les abeilles sont les vecteurs de la pollinisation, processus sans lequel notamment un arbre ne donne pas de fruits. Impacter les abeilles, c'est impacter directement la production agricole et donc jouer avec notre avenir. Tout de suite, ça parle mieux, cette histoire d'abeilles, n'est-ce pas ? On ne voit donc guère la raison pour laquelle le ministère ne déciderait pas très vite d'une interdiction de ce pesticide... à moins que dans ses cartons, le gouvernement n'ait déjà décidé de mettre les chômeurs à contribution dans les champs pour polliniser les fleurs à la place des abeilles ; pour le coup cela ferait sacrément tomber les statistiques ! Mais cette dernière info, c'est peut-être en référence à la date d'aujourd'hui... allez savoir lol

 

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