Macron : entend-il rejouer l'apprenti dictateur ?

     Pour ceux qui auraient eu encore quelque illusion sur le personnage Macron, l'interview accordée à une poignée de journalistes la semaine dernière aura levé les derniers doutes. Non, le président de la République n'a toujours pas pris la vraie mesure du mouvement de colère et du sentiment d'injustice dont l'iceberg des "Gilets jaunes" n'est que la partie émergée ! Et non, ses réponses à venir, à l'issue de grand débat national, cette consultation biaisée, n'apporteront rien de plus aux inquiétudes de déclassement et aux difficultés de nombre de nos concitoyens à (sur)vivre dignement dans une France, laissée partiellement à l'état d'abandon.

     La lecture présidentielle des manifestations du samedi et des occupations de ronds-points est confondante de simplicité : il s'agit de micro-phénomènes instrumentalisés par les extrêmes de l'échiquier politique, à droite comme à gauche, et largement promus par un battage médiatique inversement proportionnel à la réalité objective, ainsi que l'attestent les chiffres de la place Beauvau. Le noyautage des réseaux sociaux par des activistes chevronnés (attention, bientôt l'ombre de Poutine-le-maléfique planera au-dessus de l'Arc de triomphe dans la communication élyséenne !) a surjoué l'effet de mobilisation. Que le mouvement "Gilets jaunes", avec toutes ses faiblesses organisationnelles et structurelles, ait pu être soutenu par plus de soixante-dix pour cent des personnes sondées en novembre 2018 et que, malgré les indéniables images des violences répétées, tournant en boucle sur les chaînes d'information en continu, il puisse toujours recueillir un assentiment à hauteur d'un français sur deux, n'a aucun écho dans le logiciel de lecture présidentiel ! Avec un tel déni, nous ne sommes plus très loin de l'annotation de Louis XVI après sa journée de chasse, le 14 juillet 1789. "Rien à signaler" ! Le pays brûle par endroits mais le feu couve de partout... Et pourtant le château reste aveugle... et sourd !

     Pour Emmanuel Macron, président en campagne pour les Européennes et plus encore pour 2022, le bilan de la première moitié de son quiquennat n'est pas seulement bon, il est exceptionnel ! Que de réformes importantes il a su mettre en oeuvre ! Tout juste reconnaît-il que leurs effets ne vont pas assez vite ! Pour les retraités, matraqués par la hausse de la CSG et surtout apauvris par la désindexation de leurs revenus alors que l'inflation officielle et l'inflation réelle grèvent leur budget mensuel, les effets tout au contraire ont été rapidement ressentis ! Rappelons une fois de plus que c'est Bruno Le Maire en personne qui disait, lors de la primaire de la droite, combien l'augmentation de la CSG serait une catastrophe au plan économique et social ! Et c'est le même qui l'a finalement mise en oeuvre ! Ambition personnelle, quand tu nous tiens ! Et puisque l'auto-satisfaction est de mise au sommet de l'Etat, pourquoi faudrait-il changer de cap économique ?! Quelques milliards concédés et une consultation citoyenne en guise de comité Théodule devraient suffire à faire retomber le soufflé de la contestation ! De quoi l'encourager à repartir de plus belle, après cette pause forcée jusqu'aux élections de 2019 ! Et l'embellie relative des sondages ne peut que le conforter dans son analyse : après tout avec un socle droito-centriste assuré autour de 30%, il est assuré de gagner en 2022 !

     Pour le président de la République, ces trois mois de crise sont donc surtout le produit d'une désinformation préjudiciable à sa personne et à sa politique, la meilleure qui n'ait jamais été pour le pays. En tendant leurs micros aux gens de peu, les médias ont donné la parole à un peuple qui ne sait rien des choses importantes, à l'inverse d'un député ou d'un ministre ! Hé oui, dans cette belle lecture démocratique de notre président philosophe, la parole de Jojo ne vaut rien, alors que celle du godillot parlementaire, empêtré dans ses fiches de communication, est d'airain ! Il faut donc remettre les choses en ordre sans tarder, c'est-à-dire que la presse reprenne ardemment son soutien à l'égard de sa présidence, à l'image de ce qui a été fait pour propulser le candidat d'En Marche à l'Elysée. L'Etat doit s'investir dans un meilleur (?!) contrôle de l'information destinée au grand public, non seulement sur les chaînes du service du même nom, mais sur tous les médias ! Et pourquoi ne pas intervenir sur ce qui s'échange sur les réseaux sociaux !? Lutter contre les fake news doit lui procurer un blanc-seing pour verrouiller une vérité officielle venue d'en haut, de "ceux qui savent" et de ceux qui ont le droit de s'exprimer ! 

     Il doit être frustrant pour une tête si magnifiquement faite de ne pas être considéré au niveau qu'il pense avoir atteint ! Que le peuple d'en bas n'entende rien à ses géniales fulgurances, ni à sa stratégie de winner, lui démontre qu'il ne le mérite pas. Il s'en doutait bien, notez, mais cela le peine sans doute car l'acteur n'aime rien qu'être adulé, quel que soit le public ! Mais après tout, ce bas peuple l'a-t-il jamais fréquenté ? Il jure, la main sur le coeur, le trémolo dans la voix, qu'il n'est pas né avec une cueiller en or dans la bouche ! Pourtant bien peu d'entre nous sont nés dans ce milieu intellectuellement et financièrement privilégié de cette bourgeoisie provinciale, d'Amiens ou d'ailleurs !  

     Mais ce qui ulcère au plus haut point notre bon président, c'est bien que la presse joue parfois sa propre partition sans aucun égard pour "sa" vérité. On ne se méfiera jamais assez de ces intellectuels de formation, à l'égo surdimensionné, à qui l'on octroie tous les pouvoirs de l'exécutif. Car la tentation dictatoriale n'est jamais loin !