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Il y a comme un problème...
19 janvier 2017

La fracture peuple-élite, faillite du respect à la parole donnée

Comme nombre d'observateurs de la vie publique, je parle régulièrement de la fracture qui s'est peu à peu opérée entre ce qu'il est désormais convenu d'appeler "le peuple" et "les élites". Fracture, car le fossé indique une séparation, quand le mot de fracture montre bien que quelque chose s'est cassé ; or il est bien plus difficile de réparer une cassure que de combler un espace.

Cette fracture est née de tant de facteurs, souvent petites causes mais au final grands effets, dont il serait inutile de dresser la liste. Ce serait un catalogue à la Prévert où figureraient les manquements au devoir, les omissions coupables, les travestissements de la réalité, les promesses non tenues, les mensonges éhontés, l'oubli de l'intérêt général, le service d'intérêts particuliers, les ambitions démesurées, le sentiment de totale impunité et pire que cela l'attitude détachée à trouver ça normal. Il y aurait aussi beaucoup à dire sur les relations incestueuses entre le monde politique et la sphère médiatique, maintes fois évoquées ici, entre les pouvoirs publics et le monde d'experts à la botte etc... Le résultat, c'est que la parole publique n'est plus crédible, et par voie de conséquence elle est de moins en moins audible, voire tolérée, ce qui fait le jeu de ceux qui rejettent en bloc un système perçu comme dévoyé : extrêmistes, populistes, zadistes..., et ce, partout en Europe. Les raisins de la colère sont en passe d'être vendangés.

Pourtant les citoyens n'ont jamais été dupes. Cela fait bien longtemps qu'ils savent qu'on ne rase jamais gratis, que les "promesses électorales n'engagent que ceux qui les écoutent", autant de formules éculées qui démontrent un phénomène connu, et finalement accepté. Les citoyens sont bien conscients que la conjoncture, les circonstances, les évènements imprévus sont à même de modifier un programme de gouvernement, d'ouvrir une autre ligne de conduite, de renier des promesses. Cela ne fait jamais plaisir, cela énerve souvent, cela met en colère parfois, mais le peuple est aussi fataliste.

Mais ce que le peuple n'accepte plus désormais, quitte à tourner le dos au "vote utile", c'est le reniement de l'engagement personnel. Hier Rachida Dati, euro-députée, a piqué sa crise en apprenant que la circonscription législative sur laquelle elle lorgnait - celle de François Fillon, autant dire la certitude d'une élection dans un fauteuil - était attribuée à sa meilleure ennemie, Nathalie Kociusko (divorcée de Morizet). Passons sur cette guerre interne faite de jalousies sur fond de mairie de Paris et d'ambitions voraces contrariées, pour nous concentrer sur l'essentiel : le désintérêt total de Mme Dati pour son mandat actuel de parlementaire européen, qu'elle vit sûrement comme une punition, même si son exil est tempéré par un mandat de maire d'arrondissement parisien ; désintérêt pour un mandat et donc par voie de conséquence, un manque de respect aux électeurs qui lui ont accordé leur suffrage. En marge, cet état d'esprit largement partagé chez les plus emblématiques et les plus (re)connus de nos parlementaires français explique aussi pourquoi nos représentants ne font guère avancer la cause européenne et les positions nationales dans les débats et les commissions, où ils brillent avant tout par leur absence récurrente.

Ainsi il y a des mandats qui valent le coup et d'autres qui ne sont que des sucettes ou des en-cas pour passer le temps de la vache moins grasse - considérant le niveau des traitements, émoluements et remboursement de frais, il ne peut être question de vache maigre, restons décent ! La compensation, c'est le Parlement européen ; la pré-retraite dorée, c'est le Sénat... quand le politique n'est plus assuré de se faire élire au suffrage universel direct comme député et qu'il tractionne ses amis et affidés grands électeurs pour siéger au palais du Luxembourg. Si vous vous demandez encore pourquoi le millefeuille administratif compte autant de communautés de communes, de grand-ci, de conseils départementaux, généraux et régionaux, vous avez là une explication majeure : pour donner du sucre au plus grand nombre.

Cela dit, il faut immédiatement reconnaître que beaucoup d'élus - le "petit", le sans grade -  font leur travail consciencieusement et accomplissent leur mandat avec sérieux et dévouement. Mais cette majorité silencieuse a pour vocation de rester dans l'ombre quand les têtes d'affiche médiatisée donnent le mauvais exemple.

Il en est deux-trois qui seront dans le viseur populaire si François Fillon devient le nouveau président de la République en mai prochain : Valérie Pécresse, Xavier Bertrand et Christian Estrosi. Les trois ont fait leur campagne sur un engagement personnel et solennel, celui de diriger leur région durant les six années de la mandature afin de pouvoir mettre en place leur projet respectif et montrer de quoi ils étaient capable. On n'est plus là dans une promesse de campagne sur une mesure importante ou accessoire ; on est là au coeur de la relation qui doit s'établir avec le suffrage universel direct entre l'électeur et le candidat. Rappelons ou regrettons que le mandat électif n'est pas impératif en France ; cela signifie qu'une fois élu, un parlementaire peut changer de parti politique, passer de l'opposition à la majorité (et vice-versa) sans avoir à démissionner. Un rapide coup d'oeil sur le mic-mac incessant au parlement polynésien vous renseignera sur les conséquences de cette liberté pour la stabilité de l'institution et, par là, du pays.

Pécresse, Bertrand et Estrosi ont conclu un engagement moral ; le rompre reviendra à disqualifier non seulement leur parole, mais aussi celui qui, dans une certaine mesure, flatte leurs ambitions, Fillon ou son premier ministre. Or, c'est cela que le peuple ne veut et ne peut plus subir sans broncher. La fracture a établi de nouvelles lignes jaunes que les personnalités politiques seraient bien inspirées de ne plus franchir, d'abord pour préserver leurs intérêts personnels sur le long terme, mais surtout pour éviter que la vague populiste n'emporte tout sur son passage, sinon en 2017, plus sûrement en 2022. Autant dire demain. Et franchement il y a assez de problèmes comme cela...     

 

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