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Il y a comme un problème...
2 janvier 2017

Justice et droit de grâce : Jacqueline Sauvage, un cas d'école

Juste avant le réveillon de la saint Sylvestre, François Hollande est revenu sur sa position adoptée au début de l'année 2016 pour grâcier totalement Mme Jacqueline Sauvage, symbole de la violence (conjugale) faite aux femmes. En quoi cette décision doit nous interroger ?

En premier lieu, il serait sain que dans un régime politique prônant la (stricte ?) séparation des pouvoirs, le président de la République française soit définitivement privé de ce reliquat monarchique, hérité des temps moyenâgeux, où le suzerain avait droit de vie, de grâce et de mort sur ses vassaux et sujets. En ce domaine comme dans tant d'autres, notre société serait bien inspirée de s'exonérer des vestiges liés au bon vouloir du prince. Cela serait d'autant plus logique que la justice pénale en France est rendue par le peuple, via un jury dit populaire, et au nom du peuple, selon une formulation qui fleure bon les idéaux de la Révolution. En quoi un homme seul, fût-il président élu au suffrage universel, pourrait-il, au pays des Droits de l'Homme et du citoyen, substituer sa décision à celle d'un groupe d'individus parlant au nom de la société toute entière ? D'ailleurs, il convient de remarquer, à la décharge de François Hollande, que ce dernier était finalement à ce point mal à l'aise avec ce quasi droit divin qu'il n'avait pas voulu court-circuiter totalement l'institution judiciaire en prononçant cette grâce partielle, à charge pour les juges de finir le travail lors de l'examen des demandes de mise en liberté. Patratas.. Ce beau compromis à la sauce Hollandaise avait capoté, la Justice refusant la libération anticipée... par deux fois.

Voilà pour la forme. En ce qui concerne le fond, il convient de rappeler quelques faits. Par deux fois, Mme Sauvage a donc été condamnée par un jury populaire, dont on peut raisonnablement penser que chacun des jurés a, en conscience, pesé à la fois l'environnement, les circonstances et les conditions de cette terrible histoire familiale. A la différence de l'opinion publique, des groupes de soutien et des commentateurs (dont je suis), juges et jurés ont exploré témoignages, dépositions et dossier mieux que quiconque. Si la condamnation a été prononcée par deux fois, et si la remise en liberté refusée par deux fois, il est légitime de penser qu'il y a des raisons objectives à cela.

En réalité, il est raisonnable de penser que Mme Sauvage a été doublement victime : de son mari, sans aucun doute, mais aussi du système judiciaire, mais pas dans le sens que l'on pourrait supposer de prime abord. Il n'y a pas eu d'acharnement judiciaire sur fond de réglement de compte politico-syndical comme il a été dit ici ou là dans les médias ; non, dans les faits, ce symbole de la violence faite aux femmes a été la victime d'une stratégie de défense érigée pour défendre une cause, et non pour s'adapter à une justiciable.

Pour des raisons qui leur appartiennent, les deux avocates de Mme Sauvage ont opté pour une défense basée sur le principe de la légitime défense, arguant qu'en l'espèce l'accusée-victime n'avait finalement fait que se défendre, au terme de dizaines d'années de souffrance, d'humiliations et de violences. Personne ne peut se mettre à la place de cette femme, ni comprendre ce qu'elle a subi et vécu, mais aussi toléré et accepté puisque ses filles aussi ont été victimes. Sans doute les psychanalystes pourraient, par le détail, analyser les ressorts qui lient victime et bourreau, dans une dépendance qui empêche l'idée même de fuite ou de protection de sa progéniture. Oui, Mme Sauvage est une victime. Mais elle est aussi une meurtière, par le simple fait qu'il ne peut y avoir de "légitime défense" quand la victime, fût-elle un tortionnaire, est abattue par trois tirs dans le dos.

L'actualité des attentats a éclairé les français sur les règles et la jurisprudence concernant la légitime défense pour les forces de l'ordre ; et régulièrement, des faits divers relatent de condamnations pénales de commerçants ou de retraités ayant abattu agresseurs et voleurs, non ou mal (!?) armés. Les avocates de Mme Sauvage savent le droit bien mieux que personne ici, et pourtant elles ont délibérément opté pour une tactique de prétoire dont elles savaient qu'elle ne pourrait pas être suivie par un jury, quelle que soit l'empathie de ce dernier pour la prévenue, ou sa détestation pour le bourreau-victime.

Mme Sauvage a été et restera une victime des violences conjugales. Mais son cas n'aurait pas dû être instrumentalisé par ses avocates pour devenir le symbole d'une cause, car cela a desservi ses intérêts, et quelque part sa "reconstruction psychologique" à venir. Meutrière assumée bénéficiant de larges circonstances atténuantes, il n'est pas certain qu'elle fût alors condamnée à ces dix années d'emprionnement ; parions pour huit années assorties de sursis partiel, valant quasiment un acquittement. Meurtière assumée et punie,par le droit, il est probable que les juges statuant sur la remise de peine auraient opté, dès février 2016, pour la remise en liberté. Plus qu'à la société, Mme Sauvage a d'abord des comptes à rendre à sa propre conscience et à ses filles ; mais elle serait aussi en droit d'en réclamer à ses avocates.

De la même façon, les groupes de soutien aurait été bien inspirés de réfléchir avant de militer pour une victime qui ne pouvait, qui ne devrait pas être le symbole de la solution faite aux femmes maltraitées de se défendre ainsi par le meurtre. Violences psychologiques et physiques sont le quotidien de femmes, mais aussi d'hommes, au sein des couples, dans les familles. Cette cause mérite d'être défendue, ces violences combattues. Cela passe notamment par l'éducation des plus jeunes, des réseaux d'écoute et de prise en charge psychologique, des moyens données aux institutions en charge du social et du judiciaire, des lois plus strictes garantissant la mise en sûreté des victimes face à leurs bourreaux, des peines exemplaires...

A l'heure des mobilisations via Internet et les réseaux sociaux, gardons-nous des mauvais symboles et des signaux négatifs qu'ils peuvent envoyer... A défaut, on ne travaillera pas suffisamment sur les bonnes solutions et l'on générera encore plus de problèmes. Quant aux grâces présidentielles, il n'est que temps, en ce XXIème siècle bien avancé, de les ranger sur les étagères de la grande et des petites histoires.

      

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  • Un regard décalé sur l'information du moment, des analyses originales sur les sujets d'actualité, un point de vue dérangeant qui pose de vraies questions sur notre société et son mode de fonctionnement.
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