Première sortie de route pour Juppé
Quelle déception que de lire l'esquisse du programme d'un ex-Premier ministre en course pour la primaire de la droite et du centre !
A l'évidence cet Alain Juppé, petit chouchou des sondages de popularité depuis deux ans, n'entend pas arrêter de cultiver cet "art d'être aimé" qu'il revendique désormais publiquement, comme pour se soigner des blessures reçues de son cruel passage à Matignon des années 1995/97. Le réformateur en douceur, façon père tranquille, entend s'inspirer d'un Jacques Chirac qui, au final, laissa faire et filer, plus qu'il ne bougeât utilement la société sur ses fondamentaux déjà vacillants. Simple posture pour un positionnement tactique entre Sarko-la-fureur-revancharde et Fillon-le-faiseur-tous azimuts ? Pas si sûr, hélas.
Les quelques lignes programmatiques dévoilées dernièrement par la presse sur le Net sont, disons-le clairement, affligeantes pour un personnage de cet acabit. C'est l'ouverture du tiroir-caisse à tous les étages ; pour chaque question en suspens, la solution qu'il préconise viendra tout droit du carnet de chèques de l'Etat... Sauf que ses réponses magiques de "yaka construire plus de prisons", "yaka engager plus de policiers", "yaka augmenter le budget des armées", "yaka baisser les charges des entreprises" feraient sortir beaucoup d'argent d'une caisse dont on nous dit, depuis des années, qu'elle est vide... et plus que vide puisque le pays s'endette toujours plus. Fillon l'a déjà dit en 2007 : l'Etat est en faillite ! Et comme M. Juppé ne dit pas comment il ferait pour provisionner ladite caisse sans aggraver la pression fiscale...
Est-ce sérieux de promettre autant et à tout-va alors que nombre de citoyens - ceux qui ne s'abstiennent pas encore au moins - attendent désormais plus de réalisme et plus de concret des politiques ?! Les français n'oublient pas que le quinquennat Hollande aura été marqué par les mensonges et tromperies de la campagne 2012, ainsi que par les renoncements et le "coup de barre à droite" durant la mandature ! Est-ce encore le moment pour nos élites de chantonner l'air du "on rase gratis", laissant ainsi entendre qu'elles cherchent le pouvoir pour le pouvoir, et non pour mettre en oeuvre des solutions viables aux problèmes du quotidien ?! Il y en a ras-le-bol de cette impression qu'elles donnent de ce que leur "travail" s'arrête le lendemain de la victoire et que leur mandat suprême ne sert qu'à récompenser leurs amis et autres soutiens ?!
Alors certes, le parler vrai ne paie pas. En 2012, seul François Bayrou avait opté pour "dire franchement les choses" lors de sa campagne, à propos du constat de situation, à propos des efforts qu'il faudrait engager. Et sans doute en ferait-il de même en 2017 s'il se présentait. Alors justement, si ils étaient enfin plus nombreux à poser les vrais constats, à présenter ces réformes qu'ils entendent vraiment porter, la parole politique se verrait-elle recrédibiliser et les extrêmes renvoyées à leurs chères études, puisque chacun s'accorde à dire que la France est un pays qui se gagne et se gouverne "au centre", donc au plus prêt d'un réalisme acceptable par une vraie majorité !
Si la démocratie doit se résumer à être libre de voter, certes, mais uniquement pour des menteurs patentés et sur la base de programmes biaisés, où se trouve la légitimité de l'élection d'abord, de l'action gouvernementale ensuite durant les années qui suivent ?! Faut-ils vraiment s'étonner du désintérêt, non pour la politique elle-même, mais pour le personnel politique qui amène à des taux d'abstention record d'année en année ?!
Au bilan 2017 de François Hollande, une chose au moins sera positive : ce quinquennat a permis de désacraliser la fonction présidentielle en ce sens que n'importe lequel des politiciens "normaux" pourra prétendre endosser le costume mieux que son précédent locataire. L'homme aux manches de chemises trop longues, au style "désincarné" aura prouvé aux électeurs qu'il n'est plus besoin de rechercher un idéal personnifiant l'Etat pour exercer son action. Et puisque les français refusent une affiche 2017 qui serait un simple remake de 2012, il est peu de dire que c'est de bonne augure pour quiconque à droite et au centre se présenterait avec des idées concrètes et un programme qui tiennent un tant soit peu la route. Avec sa politique du tiroir-caisse, Alain Juppé vient de faire une première sortie de route. C'est dommageable pour la suite, mais pas irréversible. A suivre