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Il y a comme un problème...
29 mai 2012

Un fusible populaire, un non sens institutionnel

La presse s'est largement fait l'écho de la popularité record attribuée par les sondages à Jean-Marc Ayrault. A ce stade encore balbutiant de la présidence Hollande, qu'y a-t-il là de si extraordinaire pour faire des tonnes de commentaires dithyrambiques à propos d'une opinion "plutôt favorable" à deux tiers des sondés ? N'est-il pas plutôt naturel et logique que le couple de l'exécutif - car François Hollande a aussi été "plébiscité" - bénéficie effectivement d'un "état de grâce" au sein de l'opinion publique ? Faut-il rappeler que le duo socialo-compatible Hollande-Ayrault est directement issu du choix électoral d'une majorité de français le 6 mai dernier, ce qui le place de facto  au-dessus des 50% en terme de popularité immédiate ? Ou alors nos concitoyens seraient véritablement atteints de schizophrénie politique, à se déjuger ainsi d'une semaine sur l'autre ! Quant aux points "grapillés" dans l'électorat statistique de la droite et du centre, ils tiennent pour l'essentiel à un facteur important : l'inaction. Car jusqu'à présent, l'exécutif a d'abord soigné sa communication, même si celle-ci a parfois été brouillonne, et, tout à son agenda international surchargé,  il n'est pas encore entré réellement dans l'action "intérieure". J'ajouterai enfin que cette popularité "haute" n'est pas une nouveauté. Il me semble en effet me souvenir que François Fillon a été, lui aussi, crédité de sondages très flatteurs, au cours des deux premières années du quinquennat Sarkozy, au plus fort de l'hyper-présidence. Ce qui m'amène au sujet du jour : un premier ministre peut-il être populaire sur le long terme et surtout doit-il s'efforcer de l'être ?

En théorie, le premier ministre est le chef d'une majorité parlementaire. Mais, exception faite des périodes dites de cohabitation (1986/88 - 1993/95 ou 1997/2001), nous savons bien que, dans les faits, le seul chef de la boutique majoritaire, c'est bien le président de la République. Ensuite, c'est une question de personnalités, de l'un et de l'autre dans le couple exécutif ; c'est une question de partage des pouvoirs, de pré carré et de domaines plus ou moins réservés, de libertés ou de souplesse d'action accordées par le chef de l'Etat à son chef de gouvernement. Mais il ne faut pas s'y tromper : le premier ministre est un employé de la présidence en CDD dont la fonction première, dans l'esprit de la Vème République, est de constituer un fusible politique afin de protéger l'hôte de Elysée de la colère sociale ou des conséquences de revers électoraux. Certes, en tant que chef de gouvernement, c'est lui qui procède aux arbitrages budgétaires entre les différents ministères. Certes, il joue un rôle non négligeable dans la relation entre pouvoirs exécutif et législatif et à ces deux titres, il est donc essentiel au bon fonctionnement de nos institutions. Pour autant, il ne peut, dans la pratique, qu'être un sous-leader aux ordres : dans un pays républicain comme le notre, qui n'en a pas vraiment fini avec la royauté, le peuple pourrait-il admettre que sur un sujet particulier, Matignon vienne contredire l'Elysée ou prendre des mesures contraires à la volonté exprimée par le président ? C'est proprement impensable. Que cela se sache sur la place publique et c'en serait terminé du crédit accordé à la tête de l'exécutif. La cohabitation houleuse VGE-Chirac des années 1974-76 l'a suffisamment démontré : il ne saurait y avoir une vraie bicéphalité durable au sein de l'exécutif. 

Aussi la question qui se pose est de savoir si la notion de "fusible" du premier ministre est compatible avec celle de sa popularité. Car "fusible" sous-tend l'idée de tensions et/ou de mise en danger, notamment par le biais de réformes ou de prises de décisions, deux sujets rarement concensuels dans l'opinion publique. Et gouverner, c'est essentiellement faire des choix et trancher dans le vif, surtout en temps de crise. Or la recette de la popularité tient surtout à l'inaction. Avec le cas Fillon, seul premier ministre à avoir tenu tout un quinquennat, la petite histoire nous enseigne que la popularité d'un premier ministre est directement liée à son exposition médiatique : plus celle-ci est forte, plus il y a de risques de prendre des coups. En l'occurrence, Fillon aura construit sa popularité des premiers mois sur  le dos de Sarkozy : face à l'hyper-médiatisation "négative" de son président, il lui aura suffi de se taire pour apparaître en positif comme un faiseur et un modérateur, quand bien même c'est le même François Fillon qui était le concepteur du programme présidentiel. En 2007/08, la mise en musique des mesures fiscales et sociétales de Sarkozy attirait les foudres sur l'Elysée alors que la logique aurait voulu que Matignon assure un rôle de paratonerre. C'est d'ailleurs le principal reproche qui avait été fait à l'époque : la posture d'un Sarkozy omni-présent affaiblissait la fonction présidentielle en rendant caduque la fonction de parapluie de Matignon.

Car c'est au contact des fronts, sociaux et économiques notamment, que la popularité des sondages s'érode principalement. Et à cet aune, la prime est à celui qui se dérobe face à l'obstacle des réformes difficiles. Pour rester populaire, un premier ministre doit être un partisan de l'immobilisme et de la non-réforme structurelle. Nous le savons bien, toute réforme de fond fait naître du ressentiment chez ceux qui perdent un avantage à court terme et souvent de la crainte chez tous les autres, car personne n'apprécie l'inconnu apporté par le changement, quand bien même celui-ci est rendu nécessaire. Et comme une réforme structurelle ne porte véritablement ses fruits qu'après deux ou trois ans....

La popularité à venir de M. Ayrault sera donc inversement proportionnelle à la qualité et/ou la quantité des réformes structurelles qu'il conduira à la tête de son gouvernement. Qu'il agisse comme il se doit pour maîtriser le budget de l'Etat et en réduire les déficits, et inéluctablement, sa côte d'amour auprès des citoyens en pâtira en terme d'opinions favorables, car cela voudra dire "couper dans les dépenses" et "lever des taxes supplémentaires". Qu'il laisse s'installer une situation d'attentisme qui ménage la chèvre et le choux, ce qui ne serait pas tenable pour respecter les engagements européens de la France à l'horizon 2017, et il sera épargné de la colère directe des citoyens, lesquels reporteront leurs griefs sur l'ex-candidat Hollande et le non-respect de ses 60 engagements.

Aussi, faut-il souhaiter à la France que MM. Hollande et Ayrault ne soient plus très populaires dès la rentrée prochaine! Cela voudra dire que le duo présidentiel a commencé à agir conformément aux exigences imposées par  la situation économico-financière et non en raison d'un canevas politico-idéologique surfait. En temps de crise, le vrai décideur est rarement populaire car ses actes doivent trancher dans le vif. Une popularité obtenue dans ces conditions signifierait que les citoyens sont devenus sages et avisés. De fait, MM. Hollande et Ayrault disposent de trois ans pour mettre en place les réformes nécessaires à la France pour affronter l'avenir ; ils ont donc trois ans pour se payer le luxe de l'impopularité. Ils auront bien le temps ensuite de peaufiner une image plus avantageuse pour préparer leurs échéances personnelles de 2017. Sinon, nous aurons un vrai problème...

          

 

Dans ces conditions, un premier ministre populaire est un décideur qui ne décide pas ou peu,  

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