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Il y a comme un problème...
21 mai 2012

Une histoire de croissance

Cette histoire humoristique remonte aux heures de la Guerre froide. Les trois dirigeants les plus emblématiques de l'Union Soviétique partagent un compartiment dans un train reliant Moscou à Vladivostok. En chemin, en pleine Sibérie, le train s'arrête brusquement. Lénine demande au contrôleur ce qu'il se passe. "Eboulis sur la voie ferrée" s'entend-il répondre. Lénine prend alors la parole pour s'adresser aux passagers et il demande à chacun d'entre eux de descendre du train pour aider le personnel à dégager la voie. Après des heures du dur labeur, accompli à l'unisson par tous, le train peut enfin repartir, et Lénine de conclure : "ça, c'est la vraie force du socialisme, camarades !" Après quelques heures, le train doit encore s'arrêter. Staline se lève pour aller aux renseignements : c'est la neige qui forme des congères sur la voie. Staline appelle ses soldats et immédiatement il fait fusiller les mécaniciens responsables de ce sabotage, puis, sous la contrainte, tous les passagers doivent sortir dans le blizzard et affronter le froid sibérien pour déblayer la voie à mains nues sous la surveillance des soldats. Après de longues heures de travail, le train peut repartir mais de nombreux passagers sont morts de froid. Et Staline de conclure "ça, c'est la vraie force du socialisme ; rien ne peut l'arrêter, y compris le sabotage des forces impérialistes américaines, camarades". A quelques kilomètres de sa destination, le train doit à nouveau s'arrêter. Le camarade Brejnev convoque le chef de train pour en connaître la raison. "Camarade Président, il n'y a plus d'eau et de charbon pour alimenter la chaudière de la locomotive". Alors Brejnev prend le micro et demande aux passagers survivants de bouger leur buste d'avant en arrière en se plaçant bien en évidence devant les fenêtres. A Lénine et Staline qui ne comprennent pas cette consigne, Brejnev répond : " c'est simple, en se balançant ainsi, nous donnons l'impression aux satellites espions américains que notre train continue d'avancer, et ça, c'est bien le plus important, pour la victoire du socialisme". 

Et en effet, ce n'est pas tant l'action qui importe que la communication ; c'est moins le résultat attendu des décisions que la sauvegarde des apparences qui constitue la clé de l'action politique. Cela est vrai en tous lieux et de tous temps, mais plus encore "ici et maintenant", avec ce début de présidence Hollande qui bénéficie du soutien actif des mass-médias. Car force est de constater que ceux-ci amplifient et magnifient les premières "réformes" d'un "changement politique" qui ne fait pourtant que pérenniser des mesures largement en vigueur sous la mandature Sarkozy-Fillon. Ainsi en est-il de la charte déontologique qui, pour l'essentiel, était déjà appliquée par le gouvernement Fillon 2011. Mais tout est dans la communication. Et il faut bien avouer qu'en la matière, le PS sait faire. D'ou l'importance des mots dans la stratégie de la gouvernance Hollande-Ayrault.

Aujourd'hui, le maître-mot de la présidence Hollande est d'abord un leit-motiv, presque une incantation : "croissance". Il en a parlé à ses électeurs potentiels durant toute la campagne comme il en parle désormais à tous ses interlocuteurs sur la scène européenne et internationale, un peu comme si le mot à lui seul pouvait initier une reprise de l'économie et la rationalisation de la finance. Or sur quels fondamentaux est basée cette fameuse croissance nationale ?

Jusqu'à ce que l'on réfléchisse plus complètement sur cette gestion sur bicyclette qui force l'humanité à accroître indéfiniment sa production et sa "richesse" au détriment de sa survie à long terme (Cf. le rapport WWF sur l'état de la planète), la croissance d'une économie dépend de trois facteurs de développement : la consommation intérieure, la consommation extérieure (exportations) et les investissements productifs.

Le facteur intérieur : développer la consommation intérieure nécessite de jouer à la fois sur le levier du pouvoir d'achat (via l'augmentation des revenus du travail et/ou une baisse du coût de la vie) et sur le facteur psychologique de la confiance en l'avenir (via la réaffectation d'une partie substantielle de l'épargne des français dans le circuit de la consommation). Renchérir le coût du travail salarial est un facteur limitant pour l'accès à l'emploi ;  il pose aussi le problème du risque d'inflation. Par ailleurs, doper artificiellement la consommation ne profite pas nécessairement à l'économie nationale compte tenu de la mondialisation des échanges commerciaux (hausse des importations en provenance des BRIIC, d'où une aggravation du déficit de la balance commerciale).

Le facteur "extérieur" : doper les exportations présente le double avantage de créer de la richesse nationale "excédentaire" et de doper l'emploi, donc le revenu des ménages. Mais cela nécessite des efforts importants en matière de compétitivité. L'euro ne permettant pas de jouer sur la dévaluation monétaire, ce gain de compétitivité doit être fait principalement sur les coûts de production (salaires et taxes) et/ou sur une offre réconnue d'excellence, notamment technologique. Par de nombreux aspects, la réussite du facteur "extérieur" oblige à un réajustement du facteur intérieur, notamment au niveau des salaires et de la législation sociale du travail.

Le facteur des investissements productifs : pour avoir une chance de gagner "plus" ou "beaucoup" demain, il faut savoir investir "un peu" aujourd'hui. Cette logique constitue le B.A.BA de la réussite entrepreneuriale. Investir sur fonds propres est idéal, mais celle nécessite d'avoir du cash disponible en réserve au niveau de la trésorerie ; aussi, le besoin d'investissement est généralement assumé par le recours aux emprunts bancaires. Or la France croûle déjà sous une dette phénoménale, ce qui prouve qu'en matière de trésorerie, les caisses sont à sec. De plus, pour respecter ses engagements européens, elle doit mettre en oeuvre une politique d'abaissement du niveau de sa dette, ce qui, en théorie, ne lui permet pas d'emprunter les sommes nécessaires à un nouveau grand emprunt sur les marchés internationaux. Pour obtenir les conditions d'un investissement conséquent en terme de croissance à moyen et long terme, la France est donc tenue de générer des fonds excédentaires. Cette richesse supplémentaire, c'est le fameux pourcentage de croissance par rapport au produit intérieur brut (PIB). Or cette croissance ne peut être que famélique pour les mois et les années à venir. Parce qu'au niveau structurel, le France refuse les réformes sociales pourtant indispensables ; parce que nous parlons d'une compétition économique et financière qui est réellement devenue mondiale et que chaque pays est confronté aux mêmes besoins et facteurs limitants de croissance. Il est fini le temps où les pays occidentaux faisaient la pluie et le beau temps partout sur la planète en utilisant les pays en voie de développement à leur seuls profits. La compétition internationale est avérée, comme le sont les délocalisations, les pertes de marchés "traditionnels" et/ou de haute technicité. Investir, c'est d'abord s'endetter ; mais comment obtenir un bon taux et satisfaire aux exigences des marchés quand le surendettement prévaut déjà !?

Alors, c'est bien beau de parler de croissance à longueur de journées, mais en parler pendant les cinq prochaines années ne suffira pas à la faire émerger en France. Pour récolter les fruits d'une éventuelle croissance "significative", il faut obligatoirement en passer par de profondes remises en cause de notre modèle économique et social, lequel n'est pas adapté à l'économie mondialisée du XXIème siècle. A défaut d'aider le monde à adopter nos standards sociaux, sociétaux et environnementaux, il nous faudra bien les revoir à l'aune de la réalité de l'économie internationale.

La non-défense du marché intérieur européen nous pénalise : pourquoi se prive-t-on des simples règles de réciprocité dans les relations économiques bilatérales entre l'UE et chacun des pays partenaires, BRIIC et autres économies émergeantes ? 

L'emploi en France est miné par son coût exorbitant, notamment en raison des taxes perçues sur le travail. En outre, la protection des intérêts des travailleurs en situation d'emploi, et notamment les "droits acquis", prive tous les autres (travailleurs précaires et sans emploi) de toute chance d'accéder à un marché fermé : l'exigence du CDI, nouvelle forme de l'ambition parentale des années 1950/60 "tu seras fonctionnaire à vie, mon enfant" détruit des gisements d'emplois partiels autant qu'elle fige le dynamisme du turn-over. Tout le monde s'accorde à dire que "l'emploi à la papa", ou la carrière menée dans une même entreprise toute sa vie durant, est devenu un modèle obsolète. Pour autant, on a oublié de prendre les mesures pour développer les opportunités et les passerelles permettant aux salariés et aux chômeurs de se former réellement aux métiers de demain. Avec un pouvoir socialiste qui développe les accointances avec les organisations syndicales, comment est-il envisageable de réformer les structures du monde du travail ?

Le bas de laine des français est plus que conséquent, mais à la différence d'autres pays, il ne sert pas à répondre prioritairement aux besoins financiers de la nation : peut-on reprocher à ceux qui s'inquiètent pour leur avenir professionnel de thésauriser au lieu d'alimenter un modèle économique, d'abord conçu pour réinjecter la quasi-totalité de l'argent reçu ? Bien sûr que non. Pour autant, faut-il que les rémunérations de "l'argent qui dort" ou des fortunes amassées soient proportionnellement moins taxées que le revenu du travail ? Un modèle où l'on s'enrichit à ne rien faire est-il socialement et moralement acceptable ? Pas vraiment. Taxer à 75% les revenus supérieurs à un million d'euros est la mesure gadget d'un communicant, à peine symbolique sur ses effets attendus mais marquante pour une population en attente de plus de justice sociale. En réalité, il vaudrait mieux réfléchir à pénaliser lourdement le refus de participation au développement du marché intérieur ou à l'investissement productif. Il faut aimer les ménages très aisés et les "riches" au lieu de les stigmatiser ; plus qu'à les taxer encore et toujours, il faudrait surtour les encourager à dépenser ou à investir "utile" pour le bénéfice de la collectivité, c'est-à-dire pour tout ce qui concourt à créer de l'emploi direct ou à induire de la production intérieure.

La croissance ne se décrète pas ; tout au plus peut-elle être favorisée ou encouragée dans une certaine mesure par des actions gouvernementales volontaristes. Il ne suffit pas de se mettre à la fenêtre médiatique en s'agitant d'avant en arrière pour que le train national avance dans les faits. Au delà des paroles répétitives, ce sont donc des actes "uniques et cohérents" que l'on est en droit d'attendre de la présidence Hollande. Des actes qui, pour être conformes aux nécessités de la conjoncture et aux exigences d'un monde en perpétuel changement, doivent réformer notre société en profondeur. La présidence Hollande est-elle formatée à cette tâche ?              

 

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Commentaires
M
Bonjour,<br /> <br /> L’intérêt que vous portez à Staline (et peut-être aux preuves des crimes qui lui sont ordinairement attribués) me détermine à vous indiquer l’étonnement qui est le mien à lire, avec la plus grande attention, « Les origines du totalitarisme » d’Hannah Arendt. Vous en trouverez la marque dans :<br /> <br /> http://crimesdestaline.canalblog.com<br /> <br /> Très cordialement à vous,<br /> <br /> Michel J. Cuny
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