Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Il y a comme un problème...
10 avril 2012

La crise des institutions - 2ème partie

Se laisser porter par les tendances du moment ne suffit pas. Pour éviter de faire trop de mécontents, l'élu se tient aussi éloigné, autant que faire se peut, de toute source potentielle de conflits avec ses administrés. En un sens et pour les besoins de sa cause – comprendre : afin de pouvoir briguer un nouveau mandat – il se condamne à un comportement schizophrène : d'un côté, il fait adopter force lois et règlements pour satisfaire à la pression médiatico-populaire, de l'autre, il ne met aucun zèle à les faire appliquer.   

A titre d'exemples, je vais prendre deux cas précis, pris à l'échelon local pour être plus parlants, mais les mêmes réflexes jouent de façon identique au plan national.

Le tri des ordures ménagères est dans l'air du temps. L'effort portant sur le recyclage est à la fois une donnée de la nouvelle économie et une salutaire prise en compte de l'impact de notre mode de vie sur l'environnement. La gestion optimisée des déchets répondant autant à une nécessité qu'à un besoin, il n'y a donc aucune raison a priori pour que la réglementation municipale ne soit pas appliquée avec méthode et efficacité. Pourtant il est facile de constater que le tri n'est toujours pas entré dans les moeurs et que les déchets de toutes natures continuent de parsemer les rues de la cité, et ce quels que soient les efforts budgétaires consentis par la municipalité pour se doter des matériels et des infrastructures adaptés. La raison en est simple : en ce domaine, tout se passe comme si la loi était d'abord incitative et qu'elle n'avait aucun caractère obligatoire. Malgré le fait que les emballages X ou les déchets de type Y doivent être apportés dans les conteneurs spécifiquement dédiés, les services municipaux continuent de les accepter dans les poubelles traditionnelles. Pourquoi ? Uniquement parce qu'il ne saurait être question de s'aliéner les votes potentiels des familles contrevenantes. Techniquement parlant, il serait en effet facile de tracer  précisément les sacs de détritus ou d'en vérifier le contenu d'un simple coup d'oeil sans avoir à les ouvrir : il suffirait pour cela de distribuer dans chaque foyer des sacs plastiques transparents marqués à leur adresse. Une approche pédagogique ciblée, faite d'explications - sensibilisation, pourrait aider les récalcitrants à adopter le "geste civique" qui convient. En cas de récidive ou de mauvaise volonté, il serait logique de sanctionner les comportements non citoyens. Pourtant, rien n'est fait en ce sens, et au final, nombreux sont ceux qui finissent par se demander pourquoi ils doivent s'astreindre à trier alors que leurs voisins s'en dispensent sans frais. Le règlement municipal portant sur la collecte des ordures ménagères est donc facultatif.

Les déjections canines sur la voies publiques constituent un problème sanitaire, pratique et « esthétique », portant même préjudice à un pays à vocation touristique. C'est une pollution aussi "naturelle" qu'elle est évitable. Nombreux sont les édiles municipaux qui ont voté une délibération contre la divagation des animaux domestiques, qui exigent que les chiens soient tenus en laisse et que leurs déjections éventuelles soient ramassées par leurs maîtres. Certaines municipalités ont même investi de l'argent public dans des espaces canins dédiés et dans des distributeurs de sacs. Pour autant, ces délibérations ont-elles force de loi ? Naturellement non, car les possesseurs de chien(s) sont aussi et surtout des électeurs. Les délibérations s'appliquent donc uniquement à celles et ceux qui veulent bien respecter les autres et la communauté. Les fourrières municipales sont désertées et les maîtres contrevenants rarement inquiétés, y compris quand la police municipale est présente au moment du "délit". Là encore, ce n'est pas l'impossibilité « technique » de faire appliquer les règlements qui pose problème, mais seulement la volonté politique.  

Prétendre que les français sont plus indisciplinés que les autres, qu'ils sont plus « sales »  n'est pas un argument recevable. Quelle que soit la latitude, l'individu est sensiblement le même, seule change l'organisation sociale ; or l'organisation sociale est bien du seul ressort du législateur. C'est bien trop facile de dire qu'on ne peut rien y faire et qu'il faut de temps pour changer les mentalités. Ce défaitisme ambiant ne fait que cacher un manque de volonté du législateur à faire appliquer les lois qu'il vote. Mais pourquoi adopter des délibérations si elles n'ont pas vocation à être appliquées par tous ? Cette faiblesse coupable du politique, qui refuse de les faire appliquer comme il se devrait, fragilise le tissu social, elle met en danger le fondement de nos institutions démocratiques. De facto, la loi républicaine institue des passe-droits, à l'image des privilèges consentis sous l'Ancien régime.  Et que dire des lois qui restent lettres mortes ou sont largement vidées de leur sens par leurs décrets d'application ? N'est-ce pas du gaspillage d'énergie et un mauvais usage des fonds publics ? 

J'ouvre ici une parenthèse à titre de comparaison, quand bien même comparaison n'est pas raison : ceux qui se seront promenés au Japon auront sûrement apprécié de déambuler dans les rues sans se préoccuper des souvenirs laissés par les humains ou leurs fidèles compagnons à quatre pattes. Vous me direz que les japonais sont traditionnellement et socialement respectueux des lois, et vous aurez tout faux. Le Japon aussi a eu à traiter le problème des déjections canines, sauf que là-bas, cela a été fait avec rigueur et efficacité (alors même que le système politique est bien plus malade que le notre). Une campagne de sensibilisation suivie d'une politique de sanctions touchant directement au portefeuille a vite réglé la question. Même chose pour le tri des déchets, autrement plus sélectif que chez nous puisque les japonais doivent différencier les plastiques entre eux, et les déchets ferreux des alus. Là encore, c'est le risque effectif de sanctions financières qui a « éduqué » les comportements. Rien à voir avec un quelconque gène spécifique dans l'ADN japonais ou une société naturellement plus vertueuse.   

Avec le développement des médias, les élus français s'inscrivent avant tout dans une logique de communication avant d'être dans l'action. Leur souci de se concilier les bonnes graces des électeurs les incitent à reculer le moment de la sanction pédagogique. Si l'on excepte la pompe à fric que constitue la politique coercitive de la « sécurité routière », dans quels domaines les pouvoirs publics, au niveau local et national, témoignent vraiment d'une ferme volonté à faire appliquer les règlements ? Regardez ce qui se passe avec les fraudes aux allocations de toutes sortes : comment se fait-il que les fichiers des diverses administrations ne soient toujours pas croisés afin de détecter les profiteurs du système ?   

Si ceux qui en charge de faire la règle en desservent et l'esprit et la lettre, à quoi sert la loi et surtout à quoi servent-ils ? Si l'on adoptait la règle des deux mandats consécutifs pour tous les élus de la République, et pas seulement pour le premier d'entre eux, les choses pourraient sans doute évoluer dans le bon sens. Ainsi pourraient-ils organiser la vie en société en fonction des vrais besoins et avec la volonté d'imposer réellement une règle commune à tous. Nos élus sont par trop préoccupés par leur souci de ne pas faire trop de mécontents qu'ils en oublient la raison d'être de leurs responsabilités premières, à savoir fixer des règles pour faciliter la communauté de vie sociale dans le respect mutuel et pour le bien général, et, le cas échéant, faire sanctionner les contrevenants. Sortir de ce cadre revient à saper les fondements des structures sociétales et à affaiblir le fonctionnement des institutions démocratiques. On trouve toujours de mauvaises raisons pour éviter d'affronter les problèmes, mais à force d'évitements, on obtient des situations hors de tout contrôle comme le démontre la non-gestion des banlieues laissées aux gangs des quartiers. Alors arrêtons avec l'inflation des lois et des règlements et faisons d'abord appliquer celles qui, déjà votées, devraient l'être ! Peut-être qu'ainsi on commencera à régler les problèmes de notre société. Sinon, les institutions auront du mal à s'en tirer intactes. 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Il y a comme un problème...
  • Un regard décalé sur l'information du moment, des analyses originales sur les sujets d'actualité, un point de vue dérangeant qui pose de vraies questions sur notre société et son mode de fonctionnement.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Il y a comme un problème...
Archives
Publicité