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Il y a comme un problème...
9 avril 2012

La crise des institutions - 1ère partie

Mini trêve pascale dans la campagne, c'est l'occasion d'ouvrir le débat sur un sujet qui permet de mieux comprendre les dangers qui guettent notre démocratie et la raison pour laquelle la société française part à vau l'eau. 

C'est un fait : on ne peut pas plaire à toute le monde. Pour se faire élire au suffrage universel ou pour rester populaire, un politique ne peut se contenter de promesses ou d'une posture avantageuses, il doit aussi faire en sorte de mécontenter le moins de monde possible. Cette constante politico-électorale n'encourage donc pas l'affirmation de convictions fortes ; elle favorise plutôt les poissons insaisissables qui naviguent toujours entre deux eaux. Elle n'encourage pas le parler vrai ; elle consacre plutôt la dérobade ou le déni face aux sujets qui font sens. Elle bloque toute volonté de réformer en profondeur ; elle fait surtout le bonheur des girouettes qui préfèrent suivre le vent dominant. De ces trois tares de notre démocratie représentative, la dernière est bien la plus préoccupante, car le politique perd toute velléité d'initiative, alors même qu'il est censé être à l'origine du processus d'adaptation de la société. Si cette déresponsabilisation ambiante s'effectuait au profit des citoyens, il n'y aurait rien à objecter. Or, c'est un autre mécanisme qui s'est mis en place, d'autant plus pernicieux qu'il avance masqué, paré des meilleures intentions : l'initiative par pression médiatique interposée. Force est, en effet, de constater qu'aujourd'hui le politique n'est plus seulement conditionné par le fait médiatique, il lui est souvent subordonné. Cette situation pose certes des questions éthiques ; elle conduit surtout à s'interroger sur le fonctionnement à terme de la démocratie.

De nos jours, c'est peu de dire que l'information fait partie intégrante de la vie des citoyens ; en multipliant et en diversifiant ses supports (journaux, magazines, radio, TV, Internet), elle y est même omniprésente. Parce qu'elle s'impose ainsi dans notre quotidien, l'information ne concourt pas seulement à faire que le citoyen-spectateur puisse se forger une opinion personnelle, elle modèle une opinion publique selon des schémas ou pour des besoins qui échappe à l'entendement des citoyens.

L'information relate des faits ; l'informateur analyse et commente ces faits. Où s'arrête la stricte objectivité d'un compte-rendu ? Comment peut-on mesurer la subjectivité du commentateur ? Les limites éthiques deviennent d'autant plus floues quand la politique éditoriale n'est pas clairement lisible, quand elle n'est plus sincèrement affichée. La neutralité est une gageure, au niveau de l'individu comme au niveau du système médiatique lui-même, compte tenu du fait que l'homme n'est pas une machine, compte tenu que l'information est un business comme les autres, régi par les exigences du tiroir-caisse. De la même façon que gouverner revient à faire des choix, il existe une politique éditoriale de sélection des informations : entre tous les sujets possibles, certains sont mis sous le feu aveuglant des projecteurs médiatiques, certains sont disséqués en détail, certains sont brièvement évoqués et le plus grand nombre passés sous silence. Dès lors que chacun affiche ses préférences, dès lors qu'une certaine pluralité des opinions est rendue possible, l'esprit de la démocratie est respecté. Mais quand le flou du parti pris est entretenu, quand on donne l'illusion de l'objectivité, quand on cède trop souvent à un effet de mode, à la facilité ou à une certaine complaisance, le "quatrième pouvoir" devient un instrument de contrôle de la pensée des masses. 

Au delà du seul débat éthique, cette emprise potentielle sur les consciences ne manque pas de générer une tendance préjudiciable au bon fonctionnement de nos institutions. L'éclairage des projecteurs, qu'il soit ou non orienté pour servir une idée, une position, un parti ou un candidat, crée un intérêt de façon somme toute artificielle, il suscite un engouement ou déchaîne des passions, toutes attitudes qui renforcent la couverture et le suivi médiatiques. Un besoin est généré pour être ensuite instrumentalisé afin de satisfaire à un objectif précis, « politique », idéologique ou pécuniaire. Le cirque médiatique met en place un cycle peu vertueux qui s'auto-alimente pour mieux se renforcer au sein de l'opinion publique. La puissance de démultiplication des médias ne rend plus compte de la pression populaire, elle la façonne, elle en joue et elle en tire profit. On n'est plus dans la quadrature du problème de l'oeuf et de la poule ; à partir d'un petit oeuf, on est potentiellement en mesure de faire la Une avec un élevage industriel.

Cette nouvelle « voix du peuple »  impacte tout naturellement les élus politiques. Ce que l'on constate depuis plusieurs années, c'est que le personnel politique n'agit plus, il se contente le plus souvent de réagir. Il serait même plus exact de dire qu'il sur-réagit, piégé qu'il est par le phénomène de la surexposition médiatique qui renforce trop souvent la dramaturgie de faits bruts. Nous en avons la preuve chaque fois qu'un fait divers se retrouve à la une de l'actualité. Un événement tragique, mais somme toute commun, peut prendre rapidement des proportions extraordinaires pour peu que les circonstances s'y prêtent. La conquête de l'audience et des  parts de marché (publicitaire) appellent au sensationnalisme, à la mise en scène, voire à l'outrance. Le besoin de capter de l'audience concourt à jouer avec les peurs ou l'empathie populaires ; le canevas de l'information encourage les amalgames, les raccourcis et une approche souvent manichéenne des problèmes. De fait, l'émotion ainsi suscitée pousse le politique à s'emparer de la question dans le feu de l'action. C'est sur le coin d'une nappe en papier que le législateur entreprend de répondre à cette orchestration de l'émoi populaire. La loi devient circonstancielle quand elle devrait être structurelle. La loi de l'instant l'emporte sur la loi organique. Qu'importe que les nouveaux dispositifs, décidés dans l'urgence, viennent se sur-ajouter aux dispositions existantes. Qu'importe qu'elle vienne perturber une réforme qui se met à peine en place sans avoir encore pu donner ses fruits. Le législateur perd totalement de vue l'efficacité, pour se contenter de l'effet d'annonce ; il ne s'inscrit plus dans une logique de cohérence, il se projette dans la seule immédiateté de l'instant présent ; il se satisfait de suivre ainsi l'air du temps médiatique, et la société avec lui puisque les projecteurs vont se trouver une autre cible. Car le politique est conditionné par son souci premier de mécontenter le moins de monde possible.

Dans le jeu démocratique, un pouvoir est en train de supplanter les trois autres, le pouvoir médiatique, le seul qui ne bénéficie pas d'une représentativité directe émanant du peuple, le seul qui soit opaque sous des airs de transparence. La France n'est pas encore sous le joug d'un Turner ou d'un Murdoch, mais avec la logique économique cela pourrait vite être le cas, et pour le coup, cela deviendrait un vrai problème pour notre démocratie. 

 

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  • Un regard décalé sur l'information du moment, des analyses originales sur les sujets d'actualité, un point de vue dérangeant qui pose de vraies questions sur notre société et son mode de fonctionnement.
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