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Il y a comme un problème...
24 mars 2012

Le Pen / Mélenchon : même combat mais traitement médiatique différent

La campagne officielle compte donc dix prétendants au trône de la République : quatre à droite de l'échiquier politique, un au centre, quatre se réclamant de valeurs de gauche et un OVNI, un Objet de Vote Non Identifiable, en la personne de M. Cheminade. Une seconde façon de rendre compte de cette ligne de départ serait de dire qu'il y a trois coureurs "institutionnels", MM. Bayrou, Hollande et Sarkozy, représentant  le tryptique gauche-centre-droite, deux outsiders à la posture contre-institutionnelle, Mme Le Pen et M. Mélenchon et des figuratifs portant soit des valeurs transversales (écologie), soit des idéaux trop fortement minoritaires pour avoir quelque chance d'être audibles et donc représentatifs. Et par définition, et en toute logique, ce sont donc les cinq premiers qui alimentent le débat et se disputent les places qui comptent dans les sondages.

J'aimerais m'arrêter aujourd'hui sur les cas Le Pen et Mélenchon qui partagent de nombreux points communs.

Tous deux se définissent clairement "contre le système établi", posture typique des mouvements situés aux extrêmes d'un échiquier politique. Tous deux sont aussi les héritiers déclarés du "non à l'Europe" de 2005, les autres opposants d'alors ayant depuis sagement rejoint le rang dans leurs mouvements respectifs. Tous deux visent une cible électorale essentiellement composée des classes basses et moyennes. Tous deux se font connaître et apprécier pour leurs déclarations à l'emporte-pièce, pour leurs discours déstructurants et pour l'absence de programmes susceptibles d'être applicables en l'état, compte tenu du fait qu'ils s'inscrivent dans une telle rupture qu'ils contreviennent à nombre d'accords internationaux dont la résiliation unilatérale conduirait immanquablement le pays à un repli sur soi synonyme de ruine. Cela tient au fait que tous deux n'ont pas une réelle vocation à gouverner : Marine Le Pen parce qu'elle ne pourrait s'allier à quiconque au risque de brouiller son message basique de "compromission de l'Etat UMPS", Jean-Luc Mélenchon, parce qu'il ne saurait faire oublier qu'il n'est qu'un porte étendard de substitution pour des partis communistes ou "gauchistes" qui savent s'unir dans la lutte des classes mais qui se déchireraient sur leur stratégie  de gouvernement et l'attribution des postes de responsabilités offerts par leur allié "naturel", le PS.

Il n'y a donc rien d'étonnant à ce qu'il y ait un jeu de vases communiquants dans les intentions de vote pour l'une et l'autre : à tour de rôle, Jean-Luc dépouille Marine et Le Pen grapille sur Mélenchon. Le rassemblement populaire du Front de gauche a fait franchir un palier à Jean-Luc dans les sondages et le voici crédité actuellement de la fameuse troisième place, celle du faiseur de roi... même si en l'occurrence, et si les positions devaient effectivement en rester là, les faiseurs de rois cette année seraient au nombre de trois, puisque tous, Mélenchon, Le Pen et Bayrou sont crédités du même score, à un point près. On peut aussi penser que Marine a été desservie par l'actualité tragique de la semaine passée, les premiers indices ayant pu laisser à penser dans l'opinion que le tueur toulousain, alors non identifié, pouvait avoir (eu) des connections avec le monde de l'extrême-droite. On peut penser de la même façon que la piste islamiste et un recentrage de la campagne sur les thème du terrorisme et de la sécurité lui permettent de rebondir prochainement... au détriment de Mélenchon, totalement absent sur ces questions.

En fait, la seule différence notable entre Le Pen et Mélenchon tient au traitement qui leur est réservé par la sphère médiatique. Il n'aura échappé à personne que le candidat du Front de gauche a été l'invité récurrent des plateaux télévisés, notamment sur les chaînes publiques et d'informations en continu de la TNT, bien plus que son adversaire directe, et ce jusqu'au démarrage de la campagne des deux poids-lourds. Il faut dire que le personnage est truculent et que ces bons mots autant que son style garantissent l'audience et le buzz.

Pour Marine Le Pen, les choses sont un peu plus compliquée : si elle constitue aussi une valeur sûre en terme d'audience, c'est l'angle d'attaque journalistique qui fait débat. Autant pour les autres leaders politiques, c'est "l'angle" qui prévaut dans l'expression, autant pour la présidente du FN, c'est surtout le mot "attaque" qu'il faudrait mettre en avant. Au plan comptable des atrocités et des victimes commises en leur nom, les idéologies d'extrême-gauche (ou de gauche extrême) ont autant sinon plus de sang sur les mains que celles d'extrême-droite. Cependant, et cela ne date pas d'aujourd'hui, les "frontistes" ont toujours eu plus de mal à s'exprimer sur les médias nationaux, puis, quand la parole leur était consentie, à faire passer leur message, dans la mesure où ils devaient d'abord justifier de leur présence et répondre à un flot initerrompu de questions, souvent hors sujet.

C'est flagrant : le traitement de l'interviewer est différent qu'il s'agisse de Marine Le Pen ou des autres candidats. Que le programme ou les positions de Mme Le Pen posent question, voire problème en terme d'idéologie, de cohérence et de chiffres, je le concède bien volontiers ; mais cela n'est-il pas aussi, peu ou prou, le cas des autres ? Postuler pour une croissance de 2% du PIB à l'horizon 2015/2017 comme le fait M. Hollande pour présenter des bilans équilibrés à 5 ans, est-ce bien raisonnable et surtout est-ce bien crédible ? Alors pourquoi deux poids et deux mesures ?

Le message subliminal est clair : en France, il est acceptable d'être d'extrême-gauche, voire "tendance" (avec Olivier Besancenot), mais honni soit celui qui veut juste écouter les arguments venus de l'extrême de la droite. Dans cette lutte d'influence, les extrêmes ne passent pas sous les mêmes fourches caudines.Est-il admissible que des militants du Front de gauche, hier encore, puissent perturber l'organisation ou le déroulement des sorties de Mme Le Pen ? Est-il admissible que ce comportement anti-démocratique ne suscite aucun émoi, alors qu'une action à l'identique du FN contre Mélenchon provoquerait un tollé médiatique général ?!       Cet état d'esprit, voulu et porté par l'intelligentsia et la gauche nationale des années 1980, a produit un effet pervers en privant le débat public des sujets mis en avant par le Front national. A ne pas chercher à répondre par de vrais arguments et de vraies propositions à des questions et du ressenti venus de la "société d'en bas", les démocrates bien pensants ont fait le lit aux idées frontistes, "solutions xeénophobes" comprises. Or celui qui est susceptible d'établir un "juste constat" n'est pas forcément celui qui est le plus à même de trouver la meilleur des solutions. De la part de la gauche, cela participe d'une stratégie réfléchie d'affaiblissement de la droite, ce que l'on constate à chaque scrutin à deux tours où la qualification du FN permet l'élection du candidat de gauche, pourtant minoritaire, par le jeu des triangulaires. Quant à la droite, elle s'est laissée enfermée dans ce piège de la diabolisation tendue par la gauche, et dans la stratégie jusqu'au-boutiste du parti frontiste en quête de développement sur ses bases.

Si les journalistes ne permettent d'être plus incisif avec Marine Le Pen qu'avec Jean-Luc Mélenchon, et a fortiori avec le "trio des classiques", c'est qu'il se sentent en droit de le faire ou, pour les plus politisés d'entre eux, en devoir de le faire. On retrouvera ce côté pugnace - qui devrait être leur règle d'engagement face aux politiciens en réalité - avec les "petits" candidats, comme M. Dupond Aignan ou Mme Lepage par exemple ; par contre, s'attaquer frontalement aux approximations et à la langue de bois de ceux qui sont ou seront aux commandes de l'Etat, il ne saurait en être question. Il y a une collusion d'intérêt, au niveau des journalistes comme des lignes éditoriales, entre le "quatrième pouvoir" et le premier cercle... Et les love stories qui défraient régulièrement la chronique politico-people sont là pour en témoigner.

Pour ma part, je préférerai de beaucoup que la pugnacité journalistique affichée face à Mme Le Pen soit la règle sur les plateaux TV. Je préférerai qu'à une question posée, la réponse ad hoc soit donnée ; ne pas insister pour obtenir une "vraie" réponse témoigne en effet soit de l'inintérêt du journaliste à sa propre question - auquel cas pourquoi la poser ? Il s'agit d'une faute professionnelle -, soit d'un blanc seing clairement donné à l'interviewé pour raconter ce qu'il veut - auquel cas la présence d'une caution journalistique est inutile.     

On le voit, le duel à distance Mélenchon / Le Pen devrait logiquement profiter à Jean-Luc en terme d'image et de relai médiatique. Au plan du "traitement social" de la crise, les deux ennemis luttent à arguments et forces égales. C'est sur le plan de l'immigration-sécurité que Marine peut tirer son épingle du jeu. Ce sera donc le ton donné par MM. Sarkozy et Hollande à la semaine de campagne post-tragédie de Toulouse qui influera sur le tassement de l'un et l'envol de l'autre front.

Quoi qu'il en soit, qu'une nation place l'une de ses extrêmes politiques à hauteur des 15-20% dans les urnes, cela démontre il y a vraiment comme un problème dans notre société... Il serait peut-être tant que les autres candidats s'en émeuvent et fassent enfin le nécessaire, non? Qu'en pensez-vous ?

 

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