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Il y a comme un problème...
11 mars 2012

Le coup d'Etat rampant

En prélude à la campagne de 1965, M. Mitterrand publiait un ouvrage polémique sur "le coup d'Etat permanent" afin notamment de contester l'usage du suffrage universel direct voulu par le général De Gaulle pour l'élection présidentielle. Apparemment, le futur "sauveur" du parti socialiste considérait le fait de recourir au peuple pour choisir celui qui devait conduire le destin de la Nation sinon comme une indignité, du moins comme un risque de hold up politique. Le parlementaire doutait-il de la sagesse ou de la légitimité populaire à se choisir un leader, ou regrettait-il surtout ces petits arrangement entre amis si chers à cette IVème République qui lui avait tant offert ? A la lecture de ce post, vous vous apercevrez, chers lecteurs, que la volonté d'appropriation de la "res publica" par une caste est toujours d'actualité, raison pour laquelle je me suis inspiré de ce pamphlet pour intituler le post d'aujourd'hui : "le coup d'Etat rampant".

De quoi est-il question en l'occurrence ici ? D'un constat simple et évident, qui, pourtant, ne devrait pas faire la une des journaux ou des analyses politiques "sérieuses" : la victoire programmée de M. Hollande le 6 mai 2012 constituera d'abord et surtout la victoire de la Haute Administration française, et cela à double titre.

En premier lieu, M. Hollande est un pur produit de cette Haute Administration française (ENA - promotion Voltaire). Et tout naturellement, son "premier cercle", celui des fidèles, celui sur lequel il va fort logiquement s'appuyer pour gouverner, est essentiellement constitué de ses pairs de promotion, ou de brillants esprits eux-même issus de l'ENA. En plébiscitant François Hollande, les français feront, sans en avoir réellement conscience, le choix d'une caste prospère à l'intérieur de la République, celle de la Haute Administration.

En second lieu, il semble évident que la défaite annoncée du président sortant a été orchestrée de longue date par une Haute Administration qui n'a accepté ni le style managerial "brusque", ni la volonté de réformes de Nicolas Sarkozy. 

Loin de moi l'idée de pointer du doigt les serviteurs de l'Etat ou d'exonérer les erreurs de méthodes et/ou de jugement de la présidence Sarkozy. Cependant, force est de constater qu'il s'est créé un Etat dans l'Etat au cours de ce quinquennat atypique de la Vème République et que cette situation pourrait être assimilée à un "coup d'état rampant" dès lors qu'elle constituerait un facteur important dans le choix de l'électorat d'ici quelques semaines.

La traditionnelle "solidarité de caste", qui est de règle dans toutes les grandes écoles comme dans les écoles spécialisées, ne peut que jouer en faveur de M. Hollande puisque, faut-il le rappeler, Nicolas Sarkozy n'est qu'un "avocat d'affaires" de formation, autrement dit un étranger au monde spécifique de la Haute fonction publique. Et comme il ne fait pas mystère que M. Sarkozy n'a aucune affinité avec les énarques, il est normal qu'en retour les énarques ne nourrissent aucun bon sentiment à son endroit. Il n'est donc guère étonnant que M. Hollande, dès 2008 et sa décision prise de concourir à la candidature suprême, ait été alimenté "par la bande", pour utiliser une image de billard, par nombre de hauts fonctionnaires afin que celui-ci puisse jeter les bases de son programme et peaufiner sa stratégie présidentielle. Il serait donc intéressant de savoir dans quelles mesures ils sont sortis de leurs devoirs et prérogatives en agissant de la sorte. En aparté, reconnaissons néanmoins qu'il serait sain pour notre démocratie que ces pratiques "obscures" puissent se généraliser, mais de manière tout à fait officielle et encadrées, de sorte que tous les partis d'opposition soient réellement en mesure de travailler à un projet politique à partir des mêmes données fiables dont dispose le gouvernement. En effet est-il il acceptable de perdre six mois à un an à chaque début de mandature parce que le nouveau gouvernement doit ajuster sa politique sociale et économique aux "vrais chiffres" tenus secrets par l'Administration. La mise en place, dans les partis ayant vocation à gouverner, de "shadow cabinets" correctement informés ne peut qu'aller dans le sens d'une plus grande efficacité à gouverner, sinon d'une meilleure transparence dans les débats publics, avec des discours de campagne condamnés à un certain réalisme.

Le réflexe de caste a donc d'ores et déjà fonctionné au profit de M. Hollande, mais comme peuvent fonctionner les autres réseaux, et ils sont très nombreux en France, franc-maçons, "locaux" ou autres. Cependant, avec l'élection du candidat PS, c'est peu de dire que la caste de la Haute administration va devenir prééminente, y compris donc dans les plus hautes sphères du pouvoir décisionnaire. Or ceux d'entre vous, chers lecteurs, qui sont formés aux questions environnementales, et notamment à la notion de biodiversité, ou ceux qui ont simplement le fameux "bon sens paysan" dans les gènes savent qu'une monoculture appauvrit plus rapidement un sol et qu'elle se révèle incapable d'opposer une résistance efficace quand elle devient la cible de prédateurs. Quand il ne peut y avoir de discours dissonnant dans les couloirs du pouvoir, parce que chacun a l'esprit formaté par la même instruction de base et par un mode de raisonnement identique, il y a une pensée unique qui s'installe, qui se nourrit d'elle-même et qui se déconnecte encore plus vite du réel. En se privant de la diversité d'approche d'un problème, on passe souvent aussi à côté de solutions pourtant "évidentes", qui n'ont qu'un seul défaut : être invisibles puisque ne cadrant pas avec la culture ambiante. Peut-on exiger de physiciens qu'ils pensent en ingénieurs, peut-on raisonnablement attendre d'un groupe d'artistes qu'il accouche de solutions de management industriel ? A cet égard, la "présidence ENA" Hollande peut constituer un risque pour la France : sera-t-elle suffisamment apte à mener la barque dans des conditions de gros temps où les repères traditionnels ont été fortement chamboulés et alors qu'il faut inventer de nouveaux modes de pensées et de fonctionnement ? 

Là où le rôle de la Haute administration est en revanche plus contestable, c'est dans sa défense pro domo de son pré carré. Autant la "solidarité" de frères d'armes est moralement justifiable, autant l'esprit de vengeance, voire le torpillage systématique de l'action présidentielle constituent une forfaiture assimilable dans le cas présent à un coup d'Etat. 

En 2007, le candidat Sarkozy avait notamment fait campagne sur la nécessité de réformer l'administration française en profondeur afin de lui donner plus de sens et de cohérence, afin de l'adapter aux besoins et aux enjeux du XXIème siècle et bien entendu afin de réaliser de substantielles économies pour le budget de l'Etat. Et Nicolas Sarkozy a été élu par une large majorité de ses concitoyens, rendant de fait légitime la mise en place des réformes administratives promises. Que l'approche méthodologique pour les mettre place n'ait pas été la meilleure, que certaines erreurs aient été commises, que certaines décisions aient été inopportunes, inopérantes ou contre-productives, la question n'est pas là, et quoi qu'il en soit, les électeurs auraient été à même de juger du bilan effectif de ces réformes. Ce dont ils seront privés en l'occurrence. En effet, en s'attaquant à de tels chantiers au sein de l'appareil administratif, en cherchant à dynamiter certains prés carrés, nombre d'habitudes bien ancrées et de traditions quasi-séculaires, que ce soit aux Affaires étrangères, à la Justice, au Trésor et aux Finances, à la Santé etc... Nicolas Sarkozy s'est attiré les foudres des (très) hauts fonctionnaires, ceux-là même qui constituent le rouage essentiel au bon fonctionnement des services de l'Etat.. Je ne serai donc nullement surpris si on apprenait un jour que nombre de hauts fonctionnaires, ainsi déstabilisés dans leur quotidien, mais aussi sincèrement inquiets de la tournure des évènements, non pour leur devenir personnel - cela n'est vrai que pour une poignée d'entre eux seulement - mais surtout pour la perpétuation de l'Etat et le bon fonctionnement des services publics sur le long terme, n'ont pas été zélés à transmettre les informations qui convenaient au moment où il aurait fallu éclairer le décideur politique, à constituer les fiches techniques ad hoc permettant d'anticiper les mesures à prendre, à relayer efficacement les décisions gouvernementales sur le terrain. J'ai la conviction que ce corporatisme d'Etat, quelles que soient ses "bonnes" ou mauvaises motivations, a fortement pesé sur la réussite de certaines réformes qui aurait pu être portées au crédit du quinquennat Sarkozy. En cela une partie de cet Etat dans l'Etat s'est rendu coupable d'ingérence politique quand l'administration est censée incarner la neutralité et la continuation de l'Etat.

L'inertie des réformes en France tient certes à la résistance des organisations syndicales et patronales qui semblent se complaire dans l'absence d'un dialogue social continu et organisé et à cette spécificité du peuple français de toujours faire valoir ses droits (acquis) pour se soustraire aux obligations-devoirs en correspondance. Mais elle tient aussi à cette toute-puissance de la haute fonction publique qui se considère comme le garant et le protecteur de l'Etat et du service public.

Le grand tort du quinquennat Sarkozy aura-t-il été finalement de sous-estimer la capacité de nuisance du corporatisme d'Etat ? Quant à moi, je ne suis pas certain la situation engendrée par des réformes inabouties ou contrariées aura été proftable à notre nation et à l'avenir du pays. Quant à savoir si le retour des énarques aux commandes du gouvernement est une bonne chose ou pas.....

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Commentaires
C
Bonjour,<br /> <br /> Promotion Voltaire de l’ENA, certes…<br /> <br /> Mais Voltaire lui-même, qui était-il ?<br /> <br /> Je vous invite à partager ma surprise, en consultant, si vous le voulez bien :<br /> <br /> http://voltairecriminel.canalblog.com<br /> <br /> Très cordialement,<br /> <br /> Michel J. Cuny
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