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Il y a comme un problème...
26 novembre 2011

De la crise de l'euro

Une amie m'a récemment demandé si l'euro allait survivre à cette crise largement spéculative qui perdure. Voici ce que je lui ai alors répondu. 

Pour répondre à ta question, il faut revenir aux origines du problème. Car les attaques actuelles sur la zone euro, spéculatives certes mais pas seulement, ne sont finalement que le symptôme d'un mal plus profond. Car l'euro-monnaie unique est non seulement mal né mais au fil des années, ses gestionnaires (BCE, UE, et Etats) ont tout fait pour qu'il devienne un colosse aux pieds d'argile.

Au départ, deux choix se présentaient aux pères fondateurs de l'Euro : créer un outil monétaire qui serait soit "communautaire", soit "unique".

La monnaie communautaire, sorte de monnaie tangible du SME (Serpent Monétaire Européen) aurait servi à assurer une
parité fixe (ou plus exactement strictement contrôlée) entre les monnaies nationales pour les échanges intra-communautaires et elle aurait été, de facto, utilisée pour toutes les transactions transnationales hors UE, avec l'idée sous-jacente que « l'union faisant la force », cette devise supra-nationale constituerait un sérieux atout sur le marché des changes, notamment face à l'hégémonie du dollar. L'Euro-monnaie commune présentait l'avantage d'être une solution flexible, pouvant s'adapter à une crise
structurelle/conjoncturelle de nature économique et/ou financière affectant un ou plusieurs Etats membres, en partant du principe qu'il suffirait à un pays en difficulté d'actionner le traditionnel mécanisme de dévaluation de sa monnaie nationale par rapport à cet Euro pour retrouver sa compétivité et redevenir attractif aux investissements étrangers. La solution de cet Euro-monnaie commune permettait d'intégrer de nouveaux membres à l'occasion de l'élargissement de l'UE aux ex-pays de l'Est, voire éventuellement de se séparer de certains autres sans remettre en cause les fondements institutionnels de l'Union et surtout sans mettre en péril la crédibilité de la construction européenne et de sa monnaie commune à l'international. Finalement, l
e seul problème de cette monnaie commune, outil connoté comme « technocratique » était qu'elle ne répondait pas à l'exigence politique des principaux leaders européens du moment qui souhaitaient surtout impulser une logique de construction fédéraliste de l'UE et imposer comme inéluctable le concept des Etats-Unis d'Europe aux peuples du Vieux continent.

C'est ainsi qu'a été décidée l'instauration d'une monnaie unique, voulue avant tout comme un instrument pédagogique destiné à ancrer une logique identitaire commune aux populations d'Europe. L'Euro est avant tout le symbole politique fort de la construction européenne, avant même que d'être un outil financier. Et c'est bien là tout le problème : dans la pratique, la création de l'euro-monnaie unique a été considérée comme une fin en soi, et non comme le commencement de quelque chose. Or une monnaie est tout à la fois un outil destiné à favoriser les échanges commerciaux et, au regard du marché des devises, un thermomètre mesurant la vitalité économique d'un pays. En se dotant de l'euro-monnaie unique, nombre de pays, les PIGS (Portugal, Italie, Grèce et Espagne) mais aussi la France, ont vu là l'opportunité de se libérer du révélateur-thermomètre. Ces pays ont surfé sur une période aussi faste qu'illusoire, puisque la monnaie unique leur procurait de l'argent au meilleur compte  sur les marchés financiers dans la mesure où la vitalité de l'euro était porté par l'activité des pays du nord de l'Europe (ce n'est pas une coïncidence si la valeur de l'euro originel correspond à deux deutsch-mark, et non à X francs français). En d'autres termes, l'arrivée de la monnaie unique a été saluée comme du pain béni par tous les mauvais gestionnaires des finances publiques, qui se sont crus autorisés à  faire n'importe quoi à crédit, sans se soucier du lendemain. La plupart d'entre eux a menti sur l'état originel de leurs finances publiques ainsi que sur la prétendue bonne santé du tissu économique national. Ces mêmes gouvernements ont foulé aux pieds l'obligation faite aux Etats signataires de respecter certains critères impératifs de bonne gestion des finances publiques. Les règles vertueuses prévalant à la naissance de l'euro-monnaie unique sont devenues l'exception, tant les mesures dérogatoires se sont multipliées au fil des années. Pourtant l'essentiel du problème lié à la crise de l'euro n'est pas là, mais dans le fait que, depuis dix ans, l'Europe n'a pas avancé d'un pouce sur le volet corollaire de la monnaie unique, à savoir l'adoption d'une politique économique commune. L'Euro-monnaie unique n'avait de sens que si les pays suivaient une même politique générale en matière d'investissement, de fiscalité et de dépenses publiques. Avec l'instauration d'une monnaie unique au lieu d'une monnaie commune sans mettre en place les structures économiques et budgétaires correspondantes, on a non seulement mis la charrue avant les boeufs, mais on a placé les boeufs dans le champ du voisin !

Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que les marchés finissent par reprendre la main face à des pays qui ont pris l'habitude de vivre à crédit, bien au delà de ce que leur permettent leurs seuls moyens de générer de la richesse. Car comme pour un ménage sur-endetté à l'extrême se pose inévitablement pour le banquier la question de la capacité à honorer les échéances des emprunts. Or un nouvel ordre économique mondial se met en place et cette crise de la zone euro, ainsi que l'abaissement de la note S&P des USA en est le premier signe. En effet, la défiance envers le dollar américain et l'incapacité fondamentale du gouvernement fédéral à rembourser son ardoise colossale pourraient tout autant faire sur-réagir les marchés financiers et les cohortes de spéculateurs, dès demain. 

Alors l'Euro peut-il être sauvé ?

En quelques années, l'euro s'est imposé comme une monnaie majeure, au même titre que le dollar, le yen ou la livre
sterling. Sa disparition au profit du retour aux monnaies nationales dans la zone euro créerait un énorme appel d'air, une formidable turbulence que ni Washington, ni Beijing, ni Tokyo ne souhaitent voir se produire. Pour l'Europe, la mort de la monnaie unique marquerait un coup d'arrêt à l'UE telle qu'elle existe aujourd'hui et elle serait sans doute fatale à l'ambition d'une Europe fédérale à terme. Comme pour le « soldat Ryan », il faut sauver l'euro, en tant que symbole de l'Europe, car le Vieux continent est encore (au moins pour l'instant) indispensable à l'équilibre du monde. L'Euro doit survivre à la crise, reste à savoir comment il va le faire.
 

L'essentiel du problème actuel vient du sur-endettement des pays européens vis-à-vis de puissances financières extra-européennes, à la différence du Japon, pays ultra-endetté mais dont la dette est détenue à plus de 80% par les citoyens japonais eux-mêmes. L'unique porte de sortie semble donc passer par un rachat massif des actifs de la dette au niveau des
pays de la zone euro, voire des autres pays européens de façon à ce que le montant global de la dette européenne soit
majoritairement assumé par des créanciers nationaux. Cela signifie nécessairement un glissement des institutions de
l'Europe vers une structure fédéraliste, car, à cette solidarité financière intra-européenne, il faut impérativement adjoindre une politique économique transnationale, avec un rapprochement des politiques fiscales et sociales de tous les pays de la zone euro.

Depuis près de 40 ans, la France vit au-dessus de ses moyens, et il convient de remarquer que les experts ès Euro qui se penchent  aujourd'hui sur le malade européen ont souvent été aux responsabilités, en tant de ministres, députés ou conseillers « spéciaux », participant, chacun à son niveau, de la dérive des comptes publics, année après année. Il est dès lors admirable de les entendre jouer aux docteurs-miracles pour régler une situation qu'ils ont sinon engendrée, du moins laissée pourir.
Pour que la crise marque un temps d'arrêt, il faut donc à la fois une réponse forte des politiques, avec une annonce allant
vers un fédéralisme de fait de la zone euro, la mise en oeuvre de politiques économiques et budgétaires nationales tendant à un assainissement réel des comptes publics et la mise en place d'outils destinés à casser le phénomène spéculatif, car cette crise fait le bonheur des opportunistes sur les marchés.

Les marchés, les fonds de placement, les acteurs majeurs de l'économie mondialisée (Chine, Inde, Brésil..),  ainsi que les pays influents ont tous intérêt, à des degrés divers et pour diverses raisons, à maintenir cette zone euro, d'une part car c'est le seul moyen de récupérer une partie de l'argent prêté, d'autre part car la survie de l'euro est seule garante d'une Europe stable. Mais cela a un prix, et il est clair que les générations 1970/80 et 90 vont devoir payer la facture de l'insouciance des générations
précédentes et de l'incurie du personnel politique dans son ensemble, passé et actuel. Ce sauvetage de raison de la zone euro implique-t-il de sauver toutes les composantes nationales qui y adhèrent ?  Si aujourd'hui la Grèce ne peut pas être lâchée, ce n'est pas pour des raisons de "contagion", celle-ci ayant déjà largement gagnée jusqu'à la France, et par ctontrecoup inévitable son principal partenaire allemand, mais encore une fois pour la question du symbole, la Grèce faisant figure historique de l'idée européenne depuis plus de vingt siècles. Mais l'Europe de ce début de XXIème siècle a-t-elle encore les moyens de sauver un symbole uniquement historique ? J'en doute. Et quoi qu'il en soit, il est peu probable que le peuple grec accepte le traitement de choc nécessaire ne serait-ce que pour se rapprocher de ces standards originels qui prévalaient à la naissance de l'euro 

Mais cette crise financière préfigure la crise écologique et sanitaire qui se profile déjà à l'horizon puisque, sur ce plan aussi, la richesse d'hier s'est bâtie sur les décombres de demain. Et cela est un autre débat.

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